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ARCHIVÉ - Examen des responsabilités et des responsabilisations des ministres et des hauts fonctionnaires - Répondre aux attentes des Canadiennes et des Canadiens

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2.  
Le rôle du Parlement dans le régime de responsabilisation

Introduction

Dans ce chapitre, nous présentons un aperçu du rôle du Parlement dans le régime de responsabilisation, en particulier en ce qui touche la gestion financière. Nous soulignons la participation du Parlement à l'attribution des responsabilités dans le cadre de son rôle législatif, expliquons les principaux mécanismes qu'utilise le Parlement pour amener le gouvernement à rendre des comptes, et établissons les limites du rôle du Parlement lorsqu'il impose des sanctions aux ministres. Dans l'exposé des pratiques de l'examen parlementaire, nous expliquons les principes fondamentaux de la responsabilité individuelle et collective et l'anonymat des fonctionnaires et nous abordons certaines idées erronées. Nous précisons que la responsabilisation :

  • est une relation partagée entre le Parlement et les ministres,
  • est de nature essentiellement politique,
  • dépend de la neutralité de la fonction publique pour être efficace.

2.1  Le Parlement et l'attribution de la responsabilité

Comme nous l'avons vu, le Parlement est le principal garant de la responsabilisation politique du gouvernement au sein d'un gouvernement responsable.[5] La responsabilité directe des ministres devant la Chambre des communes est au cœur même de ce système, et son efficacité dépend en grande partie de la volonté et de la capacité de la Chambre de tenir les ministres responsables. Les gouvernements doivent rendre compte au Parlement, dont ils dépendront pour assurer leur existence même. Cependant, bien que le Parlement soit souverain, il n'exerce pas le pouvoir exécutif. Cette responsabilité incombe aux ministres, individuellement et collectivement.Comme l'a récemment indiqué le président du Comité des comptes publics : « Le Parlement n'est pas un organe de gestion, c'est un organe de responsabilisation. Nous ne sommes pas ici pour diriger le gouvernement, mais pour l'obliger à répondre de la manière dont il se dirige lui-même ».[6]

Bien que la création du Cabinet et l'organisation correspondante des portefeuilles fassent partie des responsabilités précises du premier ministre, le Parlement joue un rôle clé dans l'attribution des responsabilités ministérielles. Dans la pratique canadienne, les lois ministérielles, qui sont adoptées par le Parlement, renferment généralement un certain nombre de dispositions importantes qui facilitent la définition des responsabilités ministérielles. Elles permettent de nommer un ministre, définissent les pouvoirs, les devoirs et les fonctions dont le ministre est responsable et assignent globalement la responsabilité au ministre pour orienter et gérer les ressources financières et humaines accordées au ministère.[7]

Le Parlement a également approuvé la Loi sur la gestion des finances publiques. Cette loi est la pierre angulaire du cadre juridique de la gestion financière et de la responsabilisation des organisations de la fonction publique. La Loi décrit comment les dépenses publiques peuvent être approuvées, les fonds engagés, les recettes perçues et les fonds empruntés. Elle établit une procédure de contrôle interne des fonds attribués aux ministères et organismes, par le Parlement, et de préparation des Comptes publics du Canada dans lesquels figure l'état annuel des dépenses et des recettes du gouvernement.

La Loi sur la gestion des finances publiques précise les droits et obligations des ministres et ceux qui sont directement confiés aux administrateurs généraux, relativement aux organisations qu'ils gèrent. Ces droits et obligations comprennent, entre autres, l'obligation d'un administrateur général d'établir des procédures et de tenir des registres sur le contrôle des engagements financiers imputables sur les fonds publics; le fait que seul un ministre ou la personne qu'il délègue peut demander l'émission de paiements et le fait qu'avant l'émission d'un paiement en contrepartie d'un travail, de biens ou de services, le sous-ministre (ou toute autre personne qu'il délègue) doit attester que le travail a été effectué, les biens reçus ou les services rendus.

Les ministres demeurent individuellement et collectivement responsables de leurs obligations prévues dans la loi; ils ont des comptes à rendre au Parlement et au premier ministre pour l'intendance des ressources et l'exercice des pouvoirs qui leur sont attribués.

La responsabilité collective du Cabinet

La responsabilité collective ministérielle désigne la convention exigeant de la cohérence et de la discipline du Cabinet lorsque celui-ci choisit les politiques, gère les opérations gouvernementales et s'adresse au Parlement d'une seule voix. Un exemple important de ce principe est l'exigence de la solidarité ministérielle : alors que les ministres débattent de manière franche et approfondie des propositions au Cabinet, une fois la décision prise, tous les ministres doivent être disposés à l'appuyer publiquement ou à démissionner. Les décisions du Cabinet ont surtout un effet politique et administratif, et leur mise en œuvre est en grande partie laissée au ministre ou aux ministres directement responsables. Ainsi, l'obligation de rendre compte de politiques ou de programmes particuliers incombe habituellement au ministre responsable. Néanmoins, la responsabilité ministérielle collective revêt une grande importance du point de vue pratique.

Avant l'évolution vers un gouvernement de cabinet au 18e siècle, la Chambre des communes pouvait destituer les ministres individuellement. La responsabilité ministérielle collective est née de l'apparition de partis au Parlement et de la nécessité d'élire un gouvernement unifié et de le tenir responsable. Avec l'avènement de la responsabilité collective, la capacité de la Chambre de révoquer individuellement des ministres a en effet été remplacée par un instrument unique et de grand poids : le pouvoir de renverser un gouvernement si tel est le souhait d'une majorité des membres de la Chambre. Dans le cas des ministres pris individuellement, les députés peuvent exercer une pression énorme, et notamment demander leur démission. Toutefois, la décision relative aux conséquences que le ministre devra accepter en fin de compte relève du premier ministre, qui doit évaluer la gravité de la situation et les préjudices probables pour l'ensemble du Cabinet, sous forme d'une possible perte de confiance ou encore de mauvais résultats à la prochaine élection.

La responsabilité individuelle des ministres

En appliquant les concepts de responsabilité gouvernementale aux ministres, nous voyons qu'ils ont la responsabilité de leurs portefeuilles, qui peuvent comprendre non seulement leurs ministères, mais également des organisations non ministérielles comme les sociétés d'État. Le premier ministre confère la responsabilité de portefeuilles, de l'administration de diverses lois et de mandats particuliers au sein de portefeuilles et dans le cadre de pouvoirs prévus par la loi. Dans la pratique canadienne actuelle, les pouvoirs et fonctions d'un ministre au sein de son ministère sont habituellement énoncés dans une loi ministérielle. La responsabilité correspond ainsi à une sphère d'autorisation légale, touchant aux aspects législatifs et non législatifs, et s'accompagne de fonctions qui doivent être exercées dans le cadre de cette sphère. Dans un système parlementaire, la grande majorité des actes exécutifs sont posés par un ou plusieurs ministres en son nom ou en leur nom.

L'obligation d'un ministre de rendre compte de son ministère devant le Parlement signifie que tous les actes du ministère — qu'ils se rapportent aux politiques ou à l'administration, qu'ils soient posés par le ministre personnellement ou par des fonctionnaires non élus sous son autorité ou en vertu des pouvoirs que leur confère la loi — sont considérés comme des actes du ministre responsable. Si le Parlement a des questions ou des préoccupations à soulever, le ministre doit s'en occuper et lui fournir toute information ou explication nécessaire et appropriée. (Ainsi, l'obligation de rendre compte comprend toujours l'obligation de s'expliquer.) Si quelque chose tourne mal, le ministre doit s'engager devant le Parlement à apporter les correctifs. Et selon les circonstances, si en agissant différemment le ministre aurait pu permettre d'éviter le problème, il peut être tenu d'en accepter les conséquences personnelles.

L'obligation ministérielle de rendre compte n'exige pas du ministre qu'il soit au courant de tout ce qui se passe dans son ministère, pas plus que le président d'un conseil d'administration n'est tenu de savoir tout ce qui se passe dans une grande société moderne. De la même façon, l'obligation de rendre compte ne signifie pas que le ministre doit accepter le blâme (en remettant sa démission par exemple) chaque fois qu'un problème surgit dans son ministère. L'obligation de rendre compte diffère du blâme, ce dernier s'appliquant seulement si les problèmes sont attribuables à l'action inappropriée ou à l'inaction du ministre.

Pour appuyer l'obligation ministérielle de rendre compte des activités du ministère, le ministre et son sous-ministre doivent travailler de concert pour comprendre le niveau de détail que le ministre s'attend de connaître relativement au travail du ministère, ce qui variera selon les circonstances et le style de chaque ministre. Une orientation générale plutôt qu'un engagement à l'égard des activités est la norme, en particulier en ce qui touche les questions administratives, quoique les ministres donneront une orientation plus précise sur de grandes priorités comme les documents du Cabinet et les présentations au Conseil du Trésor. Mais quel que soit le niveau de détail dont le ministre est informé, le ministre et le sous-ministre ont une responsabilité complémentaire de s'assurer que des systèmes appropriés sont en place pour gérer le risque de problèmes et pour corriger les problèmes lorsqu'ils surgissent.

Les ministres doivent également rendre compte de l'exercice du pouvoir par le sous-ministre, que ce pouvoir soit délégué par le ministre ou attribué directement au sous-ministre par la loi. Même si des responsabilités peuvent, et doivent souvent en fait, être déléguées, ce n'est pas le cas de l'obligation ministérielle de rendre compte. La personne qui délègue le pouvoir doit veiller à ce qu'il y ait des contrôles appropriés pour qu'on puisse gérer raisonnablement le risque qu'un problème survienne. On a parfois la fausse impression que les ministres n'ont aucun rôle à jouer dans les questions administratives, en particulier lorsque les sous-ministres se voient attribuer des pouvoirs directement par la loi (par exemple, en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques). Toutefois, contrairement au sous-ministre, le ministre, qui est un député, demeure responsable devant le Parlement de la gestion et de la direction générales du ministère — une responsabilité explicite dans les lois qui relèvent des ministères. Le ministre ne peut pas donner une orientation précise au sous-ministre sur de telles questions, mais il a la responsabilité de s'assurer que le sous-ministre s'acquitte convenablement de ses responsabilités.

On dit des ministres qu'ils ont l'obligation de s'expliquer, par opposition à l'obligation de rendre compte, en ce qui concerne les activités quotidiennes des organisations sans lien de dépendance au sein de leur portefeuille. Ainsi, par exemple, si des questions ont été posées à la Chambre à propos d'une décision rendue par un tribunal quasi judiciaire faisant partie du portefeuille d'un ministre, le ministre responsable doit fournir l'information et les explications nécessaires à la Chambre. Mais le ministre ne doit pas intervenir dans le fonctionnement du tribunal et il ne subirait pas non plus les conséquences de la décision rendue. Les ministres sont cependant responsables, au niveau systémique, des organisations autonomes relevant de leur portefeuille, et le Parlement compte sur les ministres pour s'assurer que leurs organisations exécutent leur mandat avec efficacité et efficience.

La capacité de répondre lorsque surgissent des problèmes représente une importante dimension de l'obligation de rendre compte. En conséquence, en ce qui touche les problèmes survenus sous d'anciens ministres, le ministre en poste plutôt que l'ancien ministre a la responsabilité de répondre à la Chambre et d'apporter tout correctif nécessaire, ce qui permet d'assurer une capacité de réaction en cas de problème. Les conséquences personnelles de problèmes non attribuables à l'action ou à l'inaction du ministre en poste ne pourraient pas lui être imposées, mais dépendraient plutôt de l'efficacité avec laquelle il y a réagi.

Une grande partie du débat entourant la responsabilisation ministérielle est axée sur la pertinence de tenir les ministres responsables de questions dont ils ne s'occupent pas personnellement. Mais souvent, on fait mal la distinction entre responsabilisation et blâme. Un blâme n'est adressé au ministre, en ce qui concerne les dossiers auxquels il n'a pas participé personnellement, que dans la mesure où sa non-participation est en soi déplorable, compte tenu de la nature du dossier. Il est difficile d'imaginer un système qui n'en exigerait pas autant du ministre. De plus, contrairement aux fonctionnaires (ou même au personnel politique à l'emploi du ministre), le ministre est un député de la Chambre et il est le seul à pouvoir participer aux travaux de la Chambre.

La responsabilisation des fonctionnaires

La gestion et la direction d'un ministère moderne nécessitent manifestement une importante délégation de pouvoirs officielle. En fait, cette réalité n'est pas le seul fait d'un gouvernement contemporain. Il y a plus de 150 ans, la déclaration suivante apparaissait dans le célèbre rapport Northcote-Trevelyansur la fonction publique britannique : « Le gouvernement de ce pays ne pourrait se maintenir sans l'aide d'un groupe efficace d'agents permanents, occupant un poste dûment subalterne à celui des ministres ».[8]

Les ministères, en tant qu'appareils pour l'exercice du pouvoir et des responsabilités des ministres, sont l'unité organisationnelle de base de l'administration exécutive dans le système de gouvernement britannique, et les ministres agissent principalement par l'entremise des fonctionnaires de leur ministère. Le rôle de la fonction publique consiste à faire avancer fidèlement et efficacement le programme du gouvernement en place sans compromettre l'impartialité politique requise pour assurer la continuité et offrir un service aux gouvernements successifs dont les priorités et les allégeances politiques varient. Pour y parvenir, les fonctionnaires doivent formuler, en toute sincérité, des conseils professionnels exempts de considérations partisanes et sans craindre la critique politique, d'où le besoin de rester en dehors du contexte politique. Mais bien que les fonctionnaires offrent des conseils, les ministres démocratiquement élus ont le dernier mot, et les fonctionnaires doivent se conformer aux directives légitimes de leur ministre. En somme, tous les ministères et tous les fonctionnaires qui y travaillent doivent rendre des comptes à un ministre qui à son tour est responsable envers le Parlement. Sinon, on obtiendrait un gouvernement contrôlé par des personnes non élues.

Fidèles à ces principes, les fonctionnaires, comme tels, n'ont pas d'identité constitutionnelle indépendante de leur ministre. C'est ce qu'on entend par l'« anonymat » des fonctionnaires, qui se distingue du droit de fonctionner sous le voile du secret. Même lorsque les hauts fonctionnaires appuient l'obligation de rendre compte de leur ministre en communiquant de l'information publiquement, comme par exemple lorsqu'ils se présentent devant des comités parlementaires, ils le font pour le compte de leur ministre. Ces fonctionnaires ont l'obligation de s'expliquer devant les comités parlementaires, en ce sens qu'ils ont le devoir d'informer et d'expliquer. Les fonctionnaires n'ont pas directement l'obligation de rendre compte au Parlement et ne peuvent s'engager à suivre une ligne de conduite (qui nécessiterait une décision du ministre) ni être exposés aux conséquences personnelles que les parlementaires pourraient autrement imposer.

Bref, si les ministres, en tant que représentants élus, ont l'obligation de rendre compte de la mauvaise administration par l'entremise du processus politique, ce n'est pas le cas des fonctionnaires. Ceux-ci ont plutôt l'obligation de rendre compte à leurs supérieurs immédiats et, en fin de compte, au sous-ministre par le truchement de la relation employeur-employé, qui prévoit des sanctions administratives plutôt que politiques (par exemple, une réprimande, une réduction de la rémunération au rendement ou un refus de l'accorder, une suspension, une rétrogradation ou une cessation d'emploi). Dans l'éventualité d'agissements illicites, les représentants élus et les fonctionnaires doivent, comme tout le monde, en assumer la responsabilité devant le système judiciaire.

La responsabilisation des sous-ministres

Les sous-ministres et d'autres hauts fonctionnaires exercent inévitablement d'importantes responsabilités au nom des ministres.[9]En fait, certaines responsabilités administratives des sous-ministres leur sont attribuées directement par la loi. Certains commentateurs se sont dits préoccupés du fait que ces pouvoirs ne s'accompagnent d'aucune responsabilisation étant donné que le sous-ministre n'est pas responsable devant le Parlement. Mais comme nous l'avons vu, la responsabilisation envers le Parlement est politique : le Parlement peut exercer des pressions politiques susceptibles de porter atteinte à la réputation d'un représentant élu et peut-être même d'affaiblir suffisamment la position du Cabinet pour forcer la démission d'un ministre. Rien de tout cela ne s'applique aux fonctionnaires impartiaux.

En conséquence, le sous-ministre est responsable devant le ministre (et en bout de ligne, par l'entremise du greffier du Conseil privé, devant le premier ministre) de l'exercice de sa charge, et il est aussi assujetti aux systèmes internes de responsabilisation de gestion du gouvernement (dont il sera question un peu plus loin). Et le fait que le Parlement édicte les obligations légales des sous-ministres dans certains domaines ne crée pas non plus de relation de responsabilisation entre le sous-ministre et le Parlement. Le Parlement crée de nombreuses obligations légales — en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, par exemple — mais il n'a pas pour autant le pouvoir de surveiller la conformité aux lois ou de mettre les lois en application. Cette fonction relève du pouvoir exécutif.

Cela signifie aussi que, lorsque des hauts fonctionnaires appuient la responsabilisation de leur ministre en comparaissant devant les comités parlementaires, ils le font au nom de leur ministre. Ces fonctionnaires ont l'obligation de s'expliquer devant le Parlement, en ce sens qu'ils ont l'obligation d'informer et d'expliquer, bien qu'ils devraient le faire sans être amenés à discuter du bien-fondé de la politique gouvernementale, ce qui réduirait la responsabilité de leur ministre et leur propre impartialité. Les sous-ministres ne sont pas directement responsables devant le Parlement parce que d'autres aspects de la responsabilisation, autres que l'obligation de s'expliquer, ne s'appliquent pas : un sous-ministre ne peut ni s'engager à adopter une ligne de conduite (ce qui nécessiterait une décision du ministre) ni être assujetti aux conséquences personnelles dont pourraient autrement décider les parlementaires.

2.2  Le rôle du Parlement dans la responsabilisation du gouvernement

Le rôle du Parlement, au nom des Canadiens, est d'exiger que les ministres rendent compte des activités exercées sous leur autorité ou en vertu des pouvoirs conférés directement aux fonctionnaires du ministère.[10] À leur tour, les ministres doivent s'assurer que des structures et des processus ont été instaurés pour leur permettre d'exercer un contrôle suffisant, notamment de garantir que leurs sous-ministres gèrent les ministères assez bien pour appuyer la responsabilisation ministérielle.

Le Parlement dispose d'un vaste éventail de moyens pour obliger le gouvernement à rendre des comptes. Le plus ancien et celui qui s'avère encore l'un des moyens les plus efficaces, est le contrôle des fonds publics — le droit exclusif d'autoriser la perception d'impôts et la dépense de fonds publics. À l'appui de cette responsabilité, le Parlement vérifie la comptabilisation des recettes et des dépenses, comme il le souhaite.[11] D'autres outils — qui vont du rôle du Parlement dans l'adoption des lois aux débats sur les résolutions et à la prestation d'information, soit par l'intermédiaire de la période des questions ou des rapports officiels,[12] en passant par l'examen approfondi et l'approbation des dépenses publiques — sont aussi disponibles. La Période des questions, l'examen approfondi du rendement du gouvernement par les comités permanents du Parlement (tout particulièrement le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes, et le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des Communes), et le rôle du vérificateur général sont trois domaines qui justifient une attention particulière.[13]

La Période des questions

La Période des questions est une caractéristique distinctive du régime démocratique d'inspiration britannique et on peut dire qu'elle est son plus puissant instrument de responsabilisation. Élément central de la vie parlementaire, la Période des questions fournit aux parlementaires des occasions, en temps opportun, de contester les politiques et de soulever des questions concernant l'administration. Les ministres sont tenus d'être présents à la Chambre des communes pour répondre aux questions, pour rendre des comptes sur les pouvoirs qui leur ont été attribués, et pour défendre la façon dont les pouvoirs ont été exercés, par eux-mêmes ou par leurs fonctionnaires.[14] Tout député peut sans préavis poser à un ministre des questions portant sur son domaine de responsabilité. En interrogeant les ministres, les parlementaires demandent au gouvernement de rendre des comptes; ils exercent des pressions politiques appropriées, surtout en attirant l'attention du public sur un problème.

L'examen en comité des dépenses gouvernementales

Le processus d'examen des prévisions budgétaires est essentiel à la responsabilisation du gouvernement et il est lié au contrôle des fonds publics par le Parlement. Le gouvernement ne peut percevoir, dépenser ou emprunter des fonds qu'avec l'autorité du Parlement. Ce dernier exerce certains pouvoirs sur l'administration financière du gouvernement grâce à la législation habilitante, telles les lois de crédits, et à l'examen des documents financiers, tels le Budget principal des dépenses (parties I, II et III) et les Comptes publics du Canada.

Dans le Budget principal des dépenses, le gouvernement présente au Parlement ses propositions de dépenses pour une année financière, et il fournit des détails sur chacun des programmes ainsi que sur les plans et le rendement des ministères et organismes. Il indique dans quels secteurs il entend dépenser les fonds et fixe des limites aux montants que le gouvernement peut légalement engager dans un programme sans se présenter à nouveau devant le Parlement pour demander des fonds additionnels au moyen soit d'un projet de loi de crédits, soit d'une loi portant affectation de crédits. S'ils sont convoqués, les ministres doivent comparaître devant un comité de la Chambre des communes pour répondre à des questions sur les dépenses dont ils sont responsables.

Le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires a le mandat d'examiner la gestion des ressources matérielles, humaines et financières du gouvernement (essentiellement l'efficacité des opérations gouvernementales). Il a aussi des responsabilités étendues concernant l'attribution des crédits et les rapports financiers présentés au Parlement par les ministères et organismes, y compris l'examen du Budget des dépenses et l'attribution des crédits, ainsi que la présentation et le contenu de tous les documents budgétaires.

Le Comité permanent des comptes publics passe au crible tous les rapports du Bureau du vérificateur général du Canada et les Comptes publics du Canada, une fois qu'ils sont déposés à la Chambre des communes. Le Comité contribue à garantir que les fonds publics sont dépensés aux fins autorisées par le Parlement et que de saines pratiques financières sont appliquées dans l'administration en général et dans le secteur des prévisions budgétaires et des marchés adjugés plus précisément. Le Comité des comptes publics n'évalue pas la pertinence des politiques adoptées par le gouvernement. Il se préoccupe uniquement de l'économie et de l'efficacité de l'administration gouvernementale, et il dépose des rapports sur les moyens d'améliorer les pratiques et les contrôles en matière de gestion et de finances dans les ministères. Un député de l'opposition officielle préside ce comité.

Il y a eu évolution dans les pratiques de la Chambre des communes et le recours à des comités permanents. Les pratiques et les procédures que la Chambre des communes a adoptées en 1867 étaient une amélioration par rapport à celles qui étaient en vigueur dans la Province unie du Canada (1840-1867).[15] Il y a eu peu de changements dans le Règlement de la Chambre des communes ou dans l'examen approfondi des dépenses du gouvernement jusqu'au milieu des années 1950. Les règles adoptées à cette époque portaient entre autres sur la durée du débat sur le budget. En 1958, avec l'élection du gouvernement Diefenbaker, on a eu davantage recours aux comités permanents. Pour la première fois, un député de l'opposition officielle a été choisi pour présider le Comité des comptes publics, et le Comité a commencé à tenir des réunions régulières. En 1968, on a procédé à une série d'importantes réformes des procédures de la Chambre, dont les suivantes :

  • Le Budget des dépenses a cessé d'être examiné par un comité plénier pour l'être en comités permanents.
  • L'opposition a obtenu un total de 25 jours pendant lesquels elle pouvait choisir le sujet du débat.
  • La plupart des projets de loi ont été renvoyés à des comités permanents.

D'autres réformes sont survenues en 1982, dont la création d'un calendrier parlementaire annuel et l'adoption de nombreuses mesures en vue d'assurer une meilleure utilisation du temps de la Chambre. En 1985, le Comité McGrath a constaté que de nombreux parlementaires ployaient sous la nouvelle charge de travail que leur imposait le système de comités. Le gouvernement Mulroney a mis en application certaines recommandations du Comité McGrath, dont celles qui réduisaient la taille des comités parlementaires, assuraient la continuité de la composition des comités pour leur permettre d'acquérir de l'expertise et accordaient aux comités leurs propres budgets pour la rémunération du personnel de recherche et des conseillers juridiques. Le gouvernement a accepté également que les comités permanents devaient examiner l'ensemble des politiques ministérielles, dont les objectifs du ministère, les activités menées pour atteindre ces objectifs et les plans de dépenses à court et à long terme en vue de leur réalisation. Depuis 1993, on a déployé de nouveaux efforts pour accroître la capacité du Parlement de tenir le gouvernement responsable de ses actes en fournissant au Parlement une information plus complète et d'actualité, davantage axée sur les résultats. Le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires a vu le jour en 2002.

Le vérificateur général

Le premier vérificateur général, John Langton, assumait des responsabilités à l'égard du gouvernement et du Parlement. En tant que sous-ministre des Finances et secrétaire du Conseil du Trésor, il était responsable de l'utilisation des fonds et de la présentation de rapports au Parlement sur les résultats de ses vérifications. Le premier vérificateur général indépendant a été nommé en 1878 et il a été chargé d'étudier les transactions passées de l'État et d'en faire rapport, ainsi que d'approuver l'émission des chèques du gouvernement. En 1931, la Loi sur le revenu consolidé et la vérification faisait notamment du vérificateur général un mandataire du Parlement chargé d'examiner les comptes du gouvernement et de faire rapport au Parlement sur ceux-ci. En 1959, le premier comptable agréé accédait au poste de vérificateur général mais la Chambre n'a commencé à soumettre ses rapports au comité qu'au milieu des années 1960. En général, ces rapports contenaient seulement une liste d'incidents particuliers qui, de l'avis du vérificateur général, révélaient des dépenses inopportunes de la part du gouvernement.

En 1977, les dispositions régissant le vérificateur général étaient retirées de la Loi sur la gestion des finances publiques et d'importantes réformes étaient instituées par l'entremise de la Loi sur le vérificateur général. Ces réformes ont donné naissance, entre autres, à une méthode plus systématique de vérification de la gestion financière au gouvernement et d'examen des questions soumises au Comité des comptes publics. En général, la gestion financière du gouvernement fait l'objet de trois types de vérification : des vérifications d'attestation (pour vérifier si le gouvernement tient des documents financiers appropriés); des vérifications de conformité (pour s'assurer que le gouvernement n'engage que les sommes autorisées par le Parlement et uniquement aux fins approuvées par le Parlement); et des vérifications de l'optimisation des ressources (pour évaluer si les programmes gouvernementaux sont mis en œuvre en tenant compte des principes de l'économie et de l'efficacité et si le gouvernement a adopté des moyens pour mesurer l'efficacité de ses programmes).[16]

La responsabilisation et le cycle financier

Le processus annuel de responsabilisation à l'égard des dépenses publiques s'enclenche lorsque le gouvernement expose ses plans budgétaires dans le discours du budget et les projets de loi sur les mesures budgétaires, généralement en février. Le budget des dépenses, déposé à la Chambre des communes peu après le budget, est essentiellement un document stratégique et il précise comment le gouvernement entend répartir les ressources entre différentes priorités conflictuelles. Il énonce les prévisions de dépenses, en établissant un équilibre entre les diverses contraintes imposées aux ressources, tout en tenant compte de la conjoncture économique et de la détermination du gouvernement à utiliser les moyens les plus efficaces pour atteindre ses objectifs. Le budget des dépenses est remis à divers comités parlementaires qui l'examinent attentivement et les ministres sont invités à justifier les décisions stratégiques décrites dans leurs plans respectifs. Les comités tiennent les ministres responsables de ces plans et se prononcent habituellement sur le Budget principal des dépenses avant la fin mai. Après examen, si le Parlement considère que les plans sont approuvés au moyen de projets de loi de crédits, les ministres sont alors responsables de la gestion des fonds publics que leur attribue le Parlement, conformément aux pouvoirs que leur accorde la loi et aux politiques et règlements énoncés dans les politiques du Conseil du Trésor. Bref, le budget des dépenses est un important instrument de contrôle.

Finalement, il faut rendre des comptes sur la façon dont les fonds publics ont été dépensés. Le gouvernement établit les Rapports ministériels sur le rendement et les Comptes publics et chaque sous-ministre atteste de l'exactitude des comptes de son ministère. Ces documents sont ensuite présentés au vérificateur général qui les examine et les dépose au Parlement, généralement en novembre. Le Comité des comptes publics examine ensuite les rapports du vérificateur général et tient les ministres responsables du rendement de leur ministère.[17]

2.3  Le rôle du Parlement dans l'imposition de sanctions au gouvernement, aux ministres et aux hauts fonctionnaires

Le Parlement a le droit d'exprimer son mécontentement à l'égard du rendement du gouvernement au moyen de votes de censure. La sanction ultime est celle d'un vote de défiance susceptible d'entraîner la chute du gouvernement. Comme le Parlement accorde ou retire son appui à un gouvernement dans son ensemble, il n'a pas le pouvoir de destituer individuellement des ministres. Lorsqu'un ministre est tenu de rendre des comptes au Parlement, les Canadiens et les parlementaires peuvent le juger sur la pertinence de la réponse; les pouvoirs moraux et politiques d'un ministre font effectivement l'objet d'un examen public. Dans un système politique, l'effet est très réel. En outre, les comités parlementaires peuvent faire connaître leurs opinions sur le rendement d'un ministre dans le but de le mettre dans l'embarras.

Ni le Parlement ni ses comités ne devraient viser un fonctionnaire par un tel blâme, notamment parce que les fonctionnaires n'ont pas de poste au Parlement et ne doivent pas s'engager dans un débat politique. Ces conséquences - principalement le blâme public ou des demandes de démission ou de destitution - sont politiques, et les fonctionnaires ne peuvent se défendre contre elles sans compromettre leur neutralité politique. Si un comité est mécontent de la façon dont un fonctionnaire a géré des responsabilités qui lui ont été déléguées ou qui lui sont imposées par la loi, il peut tenir le ministre responsable de ne pas avoir surveillé convenablement le fonctionnaire.

Est-ce à dire que le fait pour le Parlement de ne pas pouvoir strictement imposer de mesures disciplinaires aux ministres individuellement signifie qu'ils ne sont pas réellement responsables envers le Parlement? Du point de vue des ministres individuellement et du cabinet dans l'ensemble, il est clair que la réponse est non. Ceux-ci prennent très au sérieux la perspective d'un blâme public, avec le risque que cela suppose pour leur statut politique personnel et celui du gouvernement, et ce risque a une profonde incidence sur leur conduite.