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ARCHIVÉ - L'identification des enjeux (archivé)

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Monsieur Frank Claydon
Secrétaire du Conseil du Trésor et
Contrôleur général du Canada

À titre de président du Comité consultatif sur les relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale, je suis très heureux de vous présenter ce premier rapport au nom des membres du Comité.

Le Comité a tenu six rencontres depuis sa création en octobre dernier. Durant cette période, nous avons beaucoup appris au sujet des relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale. Nous avons tracé leur évolution depuis l'adoption, en 1967, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) jusqu'à aujourd'hui.

En cours de route, nous avons bénéficié de l'excellente collaboration des agents négociateurs du secteur public, des représentants des ministères et organismes, d'anciens et d'actuels dirigeants syndicaux et gouvernementaux, ainsi que d'autres intervenants éminents du secteur privé et du milieu universitaire.

Nous sommes reconnaissants envers le personnel du Conseil du Trésor, qui nous a fourni un soutien logistique constant, et tenons à signaler les initiatives en cours visant à améliorer les relations entre le gouvernement, ses employés et leurs agents négociateurs.

Ce premier rapport décrit les événements qui ont mené à l'état actuel des relations patronales-syndicales dans la fonction publique. Dans le rapport, nous nous intéressons d'abord aux problèmes éprouvés par le gouvernement fédéral et ses syndicats, tant à la table de négociation qu'en milieu de travail.

Dans le second rapport, dont la publication est prévue pour le début de l'an prochain, nous tenterons d'élaborer une série de recommandations visant à solutionner les problèmes décrits dans le premier rapport. Par ces recommandations, nous chercherons à moderniser les relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale et, ainsi, à en assurer la pérennité pour l'avenir.

Veuillez agréer l'expression de mes sentiments distingués.

 

Le président,

John L. Fryer


Préface

Les employés du gouvernement fédéral ont obtenu des droits de négociation collective en 1967. En présentant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), le premier ministre Lester B. Pearson a cité la protection de l'intérêt public comme étant l'un des principaux objectifs de la législation. Il a affirmé que le Canada avait « un service public dont l'excellence n'est dépassée dans aucun pays au monde et n'est égalée que par quelques-uns ». La nouvelle loi visait à « maintenir cette situation enviable » en veillant à ce que la fonction publique puisse évoluer au diapason des besoins des Canadiens et des Canadiennes.

Un autre objectif clé du texte de loi était l'intégration des principes canadiens du droit et de la pratique en matière de relations industrielles. Ainsi, les employés du gouvernement fédéral obtenaient le droit de décider de leurs conditions d'emploi conjointement avec la direction, une démarche « fondée sur l'équité et l'égalité entre le gouvernement en tant qu'employeur et les organismes représentant ses employés ». (Débats de la Chambre des communes (Hansard), 25 avril 1966).

La LRTFP représentait un virage marqué, où l'on délaissait le modèle traditionnel de la gestion des ressources humaines pour adopter le modèle des relations de travail. Dans le modèle de la gestion des ressources humaines, l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'emploi, après consultation. Dans le modèle de relations de travail, les conditions d'emploi sont établies conjointement par l'employeur et les syndicats légalement accrédités pour représenter les employés.

La LRTFP n'accordait pas aux employés du gouvernement fédéral tous les droits dont jouissaient leurs homologues du secteur privé. Cependant, la Loi conférait aux employés de l'État bon nombre de ces droits. Cette convergence partielle des régimes de travail du secteur public et du secteur privé s'est produite partout au Canada et ailleurs dans le monde. Au milieu des années 70, toutes les fonctions publiques provinciales avaient adopté une forme quelconque de régime de négociation collective.

En introduisant la négociation collective dans la fonction publique fédérale, le gouvernement fédéral cherchait à améliorer le climat de travail et, partant, à rehausser le moral des employés et le service offert au public. La négociation collective dans la fonction publique a contribué à améliorer les conditions d'emploi des fonctionnaires fédéraux, notamment durant la première décennie qui a suivi l'adoption de la LRTFP.

En 1975, les préoccupations au sujet de la forte montée de l'inflation et des taux d'intérêt ont incité le gouvernement fédéral à imposer des contrôles sur les prix et les salaires dans l'ensemble de l'économie. Des craintes semblables furent à l'origine de l'adoption d'un programme de contrôle des salaires de deux ans dans le secteur public au début des années 80.

Vers le milieu des années 80, le cadre normal de négociation a été rétabli et les parties ont négocié des ententes collectives sans intervention du législateur. Les deux syndicats les plus importants ont adopté des modèles de négociation centralisée et de nouveaux avantages sociaux furent négociés pour l'ensemble des employés de la fonction publique. Mais dans les années 90, préoccupé par le déficit et la dette, le gouvernement, est à nouveau intervenu dans le régime de négociation collective. En plus de geler la rémunération de ses employés pour une période de six ans, il a bloqué les augmentations d'échelon et a légiféré pour déroger aux conventions collectives en vigueur. Pendant cette période, le gouvernement a aussi commencé à redéfinir son rôle au sein de la société canadienne. D'importantes coupures ont été opérées dans les niveaux d'emploi de la fonction publique et de nombreux services ont été délégués à d'autres paliers de gouvernement ou au secteur privé.

Alors que les salaires demeuraient plafonnés et que le nombre d'employés fédéraux diminuait, la charge de travail augmentait et les revenus réels fléchissaient. Parallèlement, le conflit patronal-syndical s'aggravait. En 1991, l'Alliance de la fonction publique du Canada a lancé son premier appel à la grève générale dans l'ensemble du pays. Pour sa part, le gouvernement fédéral a adopté des lois de retour au travail à plusieurs occasions et a suspendu l'arbitrage des différends lors du rétablissement de la négociation collective en 1997.

À la fin des années 90, alors que le déficit fédéral est sous contrôle et que de nouveaux défis apparaissent tant sur la scène nationale que sur la scène internationale, le gouvernement a entrepris de nombreuses initiatives en vue d'améliorer la qualité de vie au travail et le service offert au public.

À l'automne de 1999, dans le cadre de l'effort gouvernemental sur le plan des ressources humaines, le Secrétaire du Conseil du Trésor a invité monsieur John Fryer à présider le Comité consultatif sur les relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale, un comité de neuf membres regroupant des gestionnaires, des dirigeants syndicaux et des universitaires chevronnés.

Le mandat confié au Comité est de faire le point sur l'état des relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale, y compris les lois fédérales sur la négociation collective et celles en vigueur sous d'autres juridictions au Canada. Le Comité évaluera aussi la mesure dans laquelle le régime de relations patronales-syndicales créé par la LRTFP a bien servi les Canadiens et les Canadiennes.

Le travail du Comité se déroulera en deux étapes. Durant la première étape, il examinera l'état des relations patronales-syndicales dans la fonction publique afin de préciser les problèmes actuels. Durant la deuxième étape, il formulera des recommandations sur les changements à apporter pour assurer la pérennité du régime au cours du XXIesiècle.

Ces deux étapes comportent des consultations auprès des principaux intéressés ainsi qu'un examen de la documentation et des données statistiques pertinentes. Durant la deuxième étape, le Comité évaluera la législation fédérale et provinciale sur la fonction publique au Canada et dans d'autres pays industrialisés.


Sommaire

Le Comité consultatif sur les relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale a été créé en octobre 1999 et placé sous la présidence de monsieur John L. Fryer. Le Comité s'est vu confier un mandat d'une durée de 18 mois pour examiner les relations entre le gouvernement fédéral et les 16 syndicats représentant ses employés. Ce premier examen détaillé entrepris depuis l'adoption de la négociation collective, en 1967, donnera au Secrétaire du Conseil du Trésor et Contrôleur général du Canada l'occasion d'obtenir des avis et des recommandations indépendants en vue d'assurer le maintien d'un bon régime de relations patronales-syndicales au cours du 21e siècle.

Ce premier de deux rapports décrit les principaux problèmes et difficultés qui ont marqué ces relations, en situant les paramètres du second rapport, où le défi consistera à identifier des solutions réelles et à présenter des recommandations viables.

Rappel des principaux événements et évaluation de l'état des relations patronales-syndicales

Afin de retracer l'évolution des rapports entre le Conseil du Trésor du Canada, en tant qu'employeur, et les syndicats, le présent rapport renferme un bref rappel historique des modifications législatives touchant le processus de négociation collective et les relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale, ainsi qu'un examen de certaines des initiatives les plus importantes des parties. Dans le but d'évaluer l'état des relations entre les parties, le Comité consultatif a mené de vastes consultations à partir de divers mécanismes :

  • Tous les agents négociateurs et un certain nombre de dirigeants de ministères ont été invités à faire des présentations devant le Comité.
  • Un questionnaire identique a été envoyé au sous-ministre de tous les ministères, au chef de tous les organismes distincts et à tous les agents négociateurs accrédités.
  • Un certain nombre de personnes ayant participé aux négociations dans le secteur public durant les premières années de leur existence ont été interviewées, à partir d'une même grille de données.
  • Une séance de remue-méninges a été organisée avec des responsables syndicaux et des gestionnaires gouvernementaux impliqués dans les relations patronales-syndicales.
  • Un questionnaire a été administré à des représentants syndicaux et patronaux au niveau local.

La volonté de collaboration est palpable

Certaines des réponses recueillies lors des consultations menées par le Comité donnaient une image favorable de l'état des relations patronales-syndicales. De façon générale le travail du Conseil national mixte et la façon dont on a abordé des questions, telles que le réaménagement des effectifs et la sécurité d'emploi, a aussi été positif. Les parties souhaiteraient que le Conseil national mixte joue un plus grand rôle et elles sont en faveur du rétablissement du Bureau de recherche sur les traitements, une source de données économiques indépendantes servant à la négociation collective et qui a été démantelé par le gouvernement en 1992.

Les syndicats et les gestionnaires s'entendent sur le fait que les relations se sont détériorées

Les conclusions qui ressortent de toutes ces consultations sont remarquablement cohérentes. Les représentants des syndicats et de l'employeur reconnaissent que le niveau de confiance entre les parties est faible et qu'il s'est détérioré ces dernières années. Ils pointent du doigt le pouvoir que détient l'État dans son double rôle d'employeur et de législateur comme étant à l'origine du sentiment d'impuissance et de frustration qui s'est installé. Ce pouvoir a été utilisé à une fréquence accrue durant la dernière décennie, sous la forme de gels des salaires, de suspension du droit à la négociation collective et à l'arbitrage, et de lois de retour au travail. Les parties ont affirmé que le recours fréquent à la législation avait compromis leur capacité de résoudre conjointement les problèmes qui se posent. Comme l'a noté un sous-ministre, l'« intervention unilatérale du gouvernement a miné la confiance à l'égard du régime ».

Le fait que la détérioration des relations patronales-syndicales soit un phénomène récent ressort des réponses au questionnaire données par les personnes ayant participé au régime avant 1980. Ces répondants ont généralement exprimé une opinion plus favorable au sujet de la négociation collective dans la fonction publique que les personnes dont l'expérience se situe principalement dans les années 90. Voici certains événements qui ont contribué à la détérioration des rapports entre les parties :

  • e programme triennal de contrôle des salaires et des prix de 1975
  • La deuxième ronde de contrôles, appliqués uniquement aux salaires des employés fédéraux en 1982
  • Le gel des salaires dans la fonction publique en 1991
  • Le gel des salaires pour une période de deux ans décrété en 1994, ainsi que les coupures effectuées dans les budgets de fonctionnement des ministères
  • Les réductions budgétaires de 1995, qui ont entraîné la disparition de 45 000 emplois dans la fonction publique sur une période de trois ans
  • L'annonce, en 1996, de la suspension de l'arbitrage en matière salariale
  • La législation de 1997 limitant les hausses de rémunération lors du rétablissement de la négociation collective
  • Le report jusqu'en 2000 de l'application des jugements sur l'équité salariale.

La législation est trop restrictive

D'autres plaintes fréquemment entendues au sujet des relations patronales-syndicales portent sur les restrictions imposées par des lois telles que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). La LRTFP restreint la portée de la négociation et la nature des questions pouvant être soumises à l'arbitrage; en conséquence, elle limite le nombre de questions pouvant être amenées à la table de négociation pour y être débattues et réglées. Souvent, ces restrictions deviennent elles-mêmes une source de friction, les parties échangeant des arguments sur ce qui est et n'est pas négociable. Les deux côtés ont indiqué que l'on devrait recourir davantage à la médiation, à des comités informels de résolution de problèmes et à d'autres formes de règlement des différends.

Les compressions ont accru le stress en milieu de travail

La séance de remue-méninges organisée par le Comité consultatif a fait ressortir un certain nombre de problèmes importants, dont les charges de travail excessives et les budgets inadéquats consacrés à la formation des employés. Ces observations recoupent les sentiments exprimés par les employés de la fonction publique dans le Sondage de 1999 auprès des fonctionnaires fédéraux (SFF). L'initiative de l'Examen des programmes, lancée par le gouvernement au début des années 90, a entraîné une réduction de près de 25 p. 100 de l'emploi dans la fonction publique, principalement parmi le personnel de bureau et le personnel affecté aux opérations. Une proportion sensiblement plus élevée des employés de la fonction publique est aujourd'hui affectée à des tâches scientifiques, professionnelles et administratives, ainsi qu'au service extérieur. Les employés travaillent de plus longues heures et doivent assumer une charge de travail plus grande que jamais. Environ la moitié des employés jugent que leur charge de travail est excessive et qu'elle se traduit parfois par une baisse de la qualité du travail exécuté. Le temps supplémentaire et les longues heures de travail posent un problème particulier aux employés qui ont des personnes à charge et qui s'efforcent de concilier leurs responsabilités professionnelles et familiales. Dans une proportion de 35 p. 100, les employés estiment qu'ils ne peuvent demander d'être rémunérés en temps supplémentaire pour les heures de travail additionnelles qu'ils fournissent.

Les compressions de personnel et le grand nombre de départs à la retraite anticipée ont provoqué un déséquilibre dans la structure d'âge de la fonction publique. Les 37 000 employés maintenant âgés de 50 ans et plus forme un contingent plus de cinq fois supérieur à celui des employés ayant moins de 30 ans. Devant le vieillissement de la fonction publique, il est impératif que le gouvernement s'efforce de devenir un employeur convoité s'il veut être en mesure de rivaliser avec les autres employeurs pour attirer de nouvelles recrues au cours des années à venir.

Parmi les autres problèmes mis au jour lors des consultations, il y a la procédure de dotation, le piètre moral et l'absence d'obligation de rendre compte. Cette juxtaposition de problèmes explique les résultats du sondage qui indiquent que le tiers seulement des employés de la fonction publique sont disposés à demeurer à l'emploi du gouvernement fédéral et que les trois quarts ont songé à quitter le secteur gouvernemental.

Problèmes concernant l'employeur et les syndicats

Les représentants des deux côtés ont formulé un certain nombre de plaintes réciproques. Mais du même coup, les parties ont indiqué que les travailleurs et les gestionnaires au niveau de la base s'entendaient souvent sur la façon de régler les questions en litige, contrairement à la position officielle prise par l'employeur sur ces questions. Les syndicats ont affirmé que le Conseil du Trésor maintenait un contrôle excessif sur les relations de travail et ils ont déploré la tradition de confrontation dans les relations patronales-syndicales. Les syndicats se sont plaints du manque de formation en relations patronales-syndicales offerte aux gestionnaires de la fonction publique. Certains représentants de la partie patronale ont aussi évoqué des problèmes mettant en cause le Conseil du Trésor. Certains gestionnaires d'organismes autonomes ont indiqué qu'ils devaient négocier à la fois avec les syndicats et le Conseil du Trésor parce que ce dernier ne leur accordait qu'un mandat de négociation étroit et ne tenait pas compte de leurs besoins propres. L'équité salariale est aussi un problème particulier pour ces organismes, qui ne sont pas visés par les ententes conclues jusqu'à maintenant.

Les gestionnaires gouvernementaux se sont plaints de la structure de l'Alliance de la fonction publique du Canada et ils ont indiqué qu'il arrivait parfois que les syndicats communiquaient mal l'information aux employés au cours du processus de négociation.

Des améliorations s'imposent

La complexité de la législation sur les relations de travail dans la fonction publique fédérale, le piètre moral des fonctionnaires et les répercussions négatives du recours à des lois coercitives plutôt qu'à la négociation se conjuguent pour souligner la nécessité de repenser et d'améliorer les rapports patronaux-syndicaux dans la fonction publique du Canada. Notre deuxième rapport renfermera des recommandations en ce sens.


Chapitre I : Le contexte

1.1 Les relations patronales-syndicales dans un milieu de travail en évolution

Le gouvernement fédéral est le plus gros employeur au Canada. Plus de 186 000 fonctionnaires fédéraux fournissent aux Canadiens et aux Canadiennes une myriade de services, au pays comme à l'étranger. Pour la plus grande partie du vingtième siècle, notre fonction publique a été reconnue comme l'une des meilleures au monde. Mais l'effectif du secteur public canadien est aujourd'hui vieillissant et en déclin. L'évolution démographique, la détermination du gouvernement fédéral à éradiquer le déficit et la redéfinition du rôle de l'État en marge de l'initiative de l'« Examen des programmes » (examinée en détail plus loin dans ce chapitre) ont entraîné la disparition de nombreux emplois dans la fonction publique et la restructuration d'autres postes durant les années 90. En conséquence, les personnes qui ont conservé leur emploi ont dû fournir un effort supplémentaire et travailler de plus longues heures.

En dépit de la redéfinition du rôle de l'État, le Canada devra encore compter sur une fonction publique efficace et efficiente s'il veut demeurer concurrentiel à l'échelon international. Le Comité Strong a insisté sur l'importance de ce principe dans son rapport de 1998 :

Dans un monde caractérisé par l'augmentation de l'insécurité économique et la rareté des ressources, les citoyens demandent des programmes sociaux plu efficaces. […] Le secteur privé a besoin d'un cadre juridique lui permettant d'être concurrentiel et d'une excellente représentation à l'étranger pour se tailler une place sur les marchés internationaux. Et tout cela doit bien sûr être réalisé avec efficacité. Pour relever ces défis, la fonction publique aura besoin d'un leadership exceptionnel, d'esprits inventifs, ainsi que de nouvelles compétences et habiletés — que ce soit pour la négociation des accords internationaux de commerce, la gestion des nouveaux modes de prestation des services ou encore pour répondre aux besoins directs des citoyens.1

En raison du vieillissement de la fonction publique, le gouvernement devra recruter de jeunes Canadiens et Canadiennes. Attirer des personnes qualifiées et compétentes dans la fonction publique pourrait s'avérer une tâche difficile si les fonctionnaires éprouvent de la frustration et si la tension est élevée entre le gouvernement fédéral et ses syndicats.

Afin d'attirer de jeunes diplômés doués et de conserver les employés déjà en poste face à la concurrence que lui livre le secteur privé, le gouvernement fédéral devra devenir un lieu de travail plus attrayant. Entre autres choses, le gouvernement devra assainir ses relations avec les syndicats.

Ce rapport et celui qui suivra au printemps prochain visent à répondre aux questions suivantes : Que peut-on faire pour améliorer ces relations? La loi qui régit les relations patronales-syndicales dans la fonction publique répond-elle toujours aux besoins changeants des milieux de travail du gouvernement fédéral et de la main-d'œuvre plus diversifiée de notre époque? Dans ce premier rapport, nous mettons l'accent sur le contexte historique en cherchant à définir les problèmes auxquels font face le gouvernement fédéral et ses syndicats à la table de négociation et en milieu de travail.

1.2 L'évolution du contexte de la fonction publique

Si le travail effectué par les employés de la fonction publique fédérale a connu de nombreuses transformations, le changement le plus important a été la réduction de l'effectif de la fonction publique. Depuis que l'actuel gouvernement a pris le pouvoir en 1993, 54 000 postes sont disparus dans la fonction publique ( bien au-delà de 20 p. 100 du niveau de 1993 (voir le tableau 1.1).

Tableau 1.1
Emploi total et emploi à temps plein de durée indéterminée (TPI) dans la Fonction publique fédérale, 1989-1999

Année

Emploi total

TPI1

TPI en % du total

1989

238 415

188 865

79,2

1990

239 708

189 653

79,1

1991

240 903

192 905

80,1

1992

242 958

192 352

79,2

1993

240 462

195 014

81,1

1994

231 400

192 152

83,0

1995

225 619

187 851

83,3

1996

207 977

172 968

83,2

1997

194 396

158 107

81,3

1998

187 187

150 086

80,2

1999

186 314

146 774

78,8

Source : Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Statistiques de l'emploi dans la fonction publique.

1 "TPI" signifie, pour l'essentiel, l'enploi permanent


La « réduction des effectifs », le « rajustement des effectifs », la « réingénierie » et la « restructuration » sont autant d'expressions devenues monnaie courante dans les ministères gouvernementaux comme dans les entreprises du secteur privé. Entre 1993-1994 et 1997-1998, les dépenses au titre des programmes ont fléchi de 120 milliards de dollars à 106,7 milliards de dollars, une baisse de 11 p. 100 qui, en tenant compte de l'inflation, atteindrait près de 20 p. 1002. Simultanément, l'enveloppe salariale des employés du gouvernement fédéral a diminué d'environ 13 p. 100, soit de 19 milliards de dollars en 1993-1994 à 16,6 milliards de dollars en 1997-1998.

Mais les changements vont bien au-delà de la réduction des effectifs de la fonction publique fédérale. Dans le cadre de l'initiative de l'Examen des programmes, le gouvernement fédéral a redéfini et réduit son rôle au niveau de la prestation des programmes. De nombreuses responsabilités ont été cédées au secteur privé et au secteur communautaire ou à d'autres paliers de gouvernement.

L'Examen des programmes s'est traduit par une réduction de près de 25 p. 100 de l'emploi dans la fonction publique, qui a frappé surtout le personnel de bureau et le personnel des opérations. En conséquence, depuis le début des années 90, la proportion des employés de la fonction publique fédérale affectée au travail de bureau, aux opérations et aux tâches techniques a diminué sensiblement, tandis que la proportion des employés affectés à des tâches scientifiques, professionnelles et administratives ainsi qu'au service extérieur a augmenté.

Autre changement, les personnes qui ont conservé leur emploi ont dû redoubler d'effort et travailler de plus longues heures. Le Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux a révélé qu'environ la moitié des employés du gouvernement fédéral jugeaient leur charge de travail excessive. La même proportion affirmait que la qualité de leur travail se ressentait du fait que l'on doit maintenant faire plus avec moins. Comme dans le secteur privé, le temps supplémentaire et les longues heures de travail représentent un problème particulier pour les employés qui ont des personnes à charge et qui cherchent à concilier leurs responsabilités professionnelles et familiales. En outre, dans une proportion de 35 p. 100, les répondants étaient d'avis qu'ils ne pouvaient demander d'être rémunérés pour les heures supplémentaires travaillées.

On peut raisonnablement affirmer que les éléments que nous venons de décrire s'inscrivent dans une évolution beaucoup plus fondamentale de la nature même de l'emploi dans une économie post-industrielle. On peut faire valoir que cette évolution est attribuable à la mondialisation croissante, à la concurrence étrangère de plus en plus vive et à la préoccupation à l'égard des déficits et de la réduction de l'endettement3. L'une de ses caractéristiques semble être l'abandon graduel du modèle d'emploi standard axé sur des postes permanents à temps plein au profit d'un modèle de « contingence », qui se distingue par une sécurité d'emploi considérablement amoindrie et une proportion beaucoup plus grande de travail à temps partiel, temporaire et contractuel4.

Le recul de la sécurité d'emploi et l'augmentation du temps supplémentaire, s'ajoutant à la progression récente de la privatisation et du recours à la sous-traitance des services autrefois assurés par les ministères, laissent penser que le modèle de « contingence » a commencé à pénétrer la fonction publique. Une autre indication de ce phénomène est la proportion élevée (41,3 p. 100) des employés fédéraux de moins de 35 ans occupant un poste de durée déterminée ou temporaire, comparativement à 18,2 p. 100 pour l'ensemble de la fonction publique (voir tableau 1.2).

Tableau 1.2
Situation d'emploi dans la Fonction publique par groupes d'âge, 1998 et 1999

Mars 1998

Mars 1999

Situation d'emploi

Emplois indét. et saisonn.1

Emplois dét. et occas.

Total

% des em-
plois indét. et sai-sonn.

Emplois indét. et saisonn.

Em-
plois dét. et occas.

Total

% des em-
plois indét. et sai-
sonn.

Groupes d'âge

16-19

3

179

182

1,6

14

239

2532

5,5

20-23

734

2 779

3 513

20,9

827

3 183

4 0102

20,6

25-29

5 921

5 997

11 918

49,7

5 900

5 897

11 7972

50,0

30-34

15 950

5 602

21 552

74,0

14 524

5 653

20 1772

72,0

35-39

27 060

5 464

32 524

83,2

25 115

5 962

31 077

80,8

40-44

34 629

4 746

39 375

87,9

33 262

5 114

38 376

86,7

45-49

36 205

3 272

39 477

91,7

35 677

3 694

39 371

90,6

50-54

22 105

2 009

24 114

91,7

23 902

2 431

26 333

90,8

55-59

9 735

1 008

10 743

90,6

9 942

1 175

11 117

89,4

60-64

2 732

354

3 086

88,5

2 663

412

3 075

86,6

65-69

487

99

586

83,1

500

102

602

83,1

70+

84

33

117

71,8

89

37

126

70,6

Total FP

155 645

31 542

187 187

83,1

152 415

33 899

186 314

81,8

% ayant moins de 35 ans

14,5%

46,2%

19,9%

 

14,0%

44,2%

19,4%

 

Source : Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Statistiques de l'emploi dans la fonction publique.

1 « Indet. » signifie emploi de durée indéterminée.

2 En mars 1999, 14 972 employés de la fonction publique sur un total de 36 237 ayant moins de 35 ans occupant un poste de durée déterminée ou un poste occasionnel, selon le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.


1.3 La fonction publique à la croisée des chemins

Depuis les années 90, un certain nombre de questions ont provoqué des frictions entre le gouvernement et ses syndicats.

L'érosion de la sécurité d'emploi et l'accroissement de la charge de travail ne sont pas les seuls problèmes patronaux-syndicaux qui se posent dans la fonction publique fédérale. Durant les années 90, les salaires versés ont été gelés et la négociation collective a été, de fait, suspendue pendant six ans. Comme dans le cas du programme de contrôles « 6 et 5 » imposé sur les ententes salariales dans les années 80, les augmentations d'échelon ont été touchées au même titre que la rémunération de base.

Lorsque la négociation collective a été rétablie, le gouvernement a adopté une loi pour prévenir le « rattrapage », qui aurait compensé pour les années durant lesquelles les salaires ont été gelés; la loi limitait les hausses salariales à environ 2 p. 100. Même lorsque les facteurs de comparaison externes indiquaient clairement que des hausses de traitement étaient justifiées, l'employeur a versé des montants forfaitaires ou augmenté le nombre d'échelons plutôt que de relever la grille salariale. Pour prévenir qu'un arbitre n'accorde aux employés de la fonction publique des hausses salariales « de rattrapage », l'État a suspendu l'arbitrage des salaires et des avantages sociaux de 1996 à 2001.

Avec pour seule alternative le recours à la grève, de nombreuses unités de négociation dont la majorité des membres occupent des postes désignés essentiels à la sécurité du public et, partant, frappés d'une interdiction de débrayage, n'ont eu d'autre choix que d'accepter l'offre de l'employeur.

Une autre question qui a accrû les tensions entre la partie patronale et la partie syndicale et miné le moral des employés est le retard survenu dans le règlement de la question de l'équité salariale. La réclamation la plus importante présentée au Conseil du Trésor a été réglée en 1999 pour un montant atteignant près de 3,5 milliards de dollars, après le jugement favorable à la position syndicale rendu par la Cour d'appel fédérale. Les délais ont pesé lourdement sur le moral des employés. Par ailleurs, ce dossier conserve toute sa « pertinence » pour les organismes autonomes parce qu'aucune décision ou entente n'est intervenue dans leur cas.

L'effectif du gouvernement fédéral vieillit à un rythme beaucoup plus rapide que la population active canadienne dans son ensemble5. En 1997, environ 70 p. 100 de la main-d'œuvre fédérale était âgée de 35 à 54 ans, comparativement à environ 50 p. 100 il y a seulement une décennie. Le vieillissement de la main-d'œuvre6 découle en partie de la réduction des effectifs et du gel imposé à l'embauche.

Une autre façon d'examiner la distribution selon l'âge des employés de la fonction publique fédérale est de comparer le nombre d'employés âgés de 45 ans et plus au nombre d'employés de moins de 35 ans. En mars 1999, il y avait au-delà de 72 000 employés dans la fonction publique fédérale âgés de 45 ou plus — plus de trois fois le nombre d'employés de moins de 35 ans. La différence était encore plus marquée aux extrémités de l'intervalle d'âge : les 37 096 employés âgés de 50 et plus occupant des postes de durée indéterminée et des postes saisonniers représentaient un contingent plus de cinq fois supérieur à celui des employés de moins de 30 ans occupant des postes de durée indéterminée et des postes saisonniers7.

Une telle distribution selon l'âge laisse penser que la fonction publique fédérale pourrait connaître une crise de recrutement à brève échéance. De fait, divers organismes gouvernementaux ont pris conscience de la nécessité de renouveler la fonction publique depuis plusieurs années.

Dès 1997, le Rapport du Vérificateur général signalait que les programmes conçus pour attirer de jeunes diplômés talentueux dans la fonction publique ne donnaient pas de bons résultats. L'année suivante, le rapport exprimait des préoccupations au sujet du départ de professionnels expérimentés et de la perte de mémoire institutionnelle. Il décrivait les pénuries de personnel compétent et expérimenté observées dans quatre des sept ministères étudiés et dans huit groupes professionnels différents8. Dans le rapport qu'il vient de publier pour 2000, le Vérificateur général exprime sa préoccupation sérieuse devant le vieillissement de la fonction publique et la sous-représentation des travailleurs de moins de 35 ans. Dans le discours du Trône de 1999, le gouvernement a annoncé qu'il mettrait l'accent sur le recrutement, la rétention et l'apprentissage continu d'un effectif fédéral compétent. Dans au moins un groupe professionnel, celui des spécialistes en informatique, le gouvernement a lancé un effort de recrutement intensif à Montréal, Ottawa, Toronto, Calgary et Vancouver9.

Le recrutement n'a pas été la seule préoccupation du gouvernement. Dans le but de résoudre le problème du moral des effectifs, le gouvernement a lancé toute une série d'initiatives centrées sur les ressources humaines (RH) ces cinq dernières années. Parmi celles-ci, il y a La Relève — le renouvellement de la fonction publique fédérale —, le Groupe de travail sur une fonction publique inclusive, le Groupe de travail sur la participation des minorités visibles dans la fonction publique fédérale et le Sondage de 1999 auprès des fonctionnaires fédéraux. Parmi les autres initiatives pertinentes du gouvernement fédéral dans le domaine des ressources humaines, mentionnons la création du Réseau du leadership et les sous-comités du Comité des hauts fonctionnaires (CHF) sur l'apprentissage et le perfectionnement et sur le bien-être en milieu de travail.

Ces initiatives axées sur les ressources humaines, de même que l'accent mis récemment par le gouvernement sur le recrutement et le renouvellement des effectifs, soulignent l'intérêt qu'il manifeste à maintenir une fonction publique forte et dynamique. Mais des années de réduction de personnel précédées par des années d'intervention dans le régime de négociation collective et de lois de retour au travail, dont certaines ont imposé les conditions des conventions collectives aux employés, ont certes laissé des séquelles. Une des conséquences a été la frustration montante, l'effritement du moral et les tensions et conflits apparus entre la partie patronale et la partie syndicale que nous décrivons plus en détail dans les deux prochains chapitres.

1.4 Contenu du rapport

Dans le prochain chapitre, nous examinons le cadre des relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale. Cet examen renferme un aperçu détaillé de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), la loi qui régit la négociation collective dans la fonction publique depuis 1967.

Le chapitre III présente un rappel historique de la négociation collective dans la fonction publique et de l'expérience de la négociation collective jusqu'à la fin des années 80.

Le chapitre IV nous amène jusqu'à aujourd'hui. Il porte principalement sur l'expérience de la négociation collective durant les années 90. Le chapitre se termine par un bref aperçu de certains des problèmes révélés par le Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux et d'autres études récentes.

Au chapitre V, nous examinons les principaux résultats qui ressortent de nos questionnaires et des entrevues personnelles menées auprès d'intervenants clés du côté syndical et du côté patronal. Le chapitre renferme aussi les résultats des présentations faites par les agents négociateurs et les gestionnaires gouvernementaux, ainsi que certains des résultats préliminaires d'une enquête menée auprès des gestionnaires et des responsables syndicaux au niveau local.

Au chapitre VI, nous décrivons les problèmes communs mis en relief par notre examen de la documentation et des données disponibles et des questionnaires, des sondages et des entrevues. Dans ce chapitre, nous commençons aussi à tisser certains liens avec notre second rapport qui proposera des solutions aux problèmes étudiés dans le premier rapport.


Chapitre II : Cadre des relations patronales-syndicales

2.1 Le cadre général

Le cadre des relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale10 est établi dans cinq grandes lois du Parlement.

La Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP) confère à la Commission de la fonction publique (CFP) le pouvoir relatif aux questions de dotation, telles que l'embauche, les promotions et les congédiements, et à la protection du système du mérite. La Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) confie au Conseil du Trésor la responsabilité de déterminer la plupart des autres conditions d'emploi. La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) accorde le droit à la négociation collective. Il donne à la Commission des relations de travail dans la fonction publique le pouvoir de superviser le régime de négociation collective et d'entendre certains griefs. La Loi sur la pension dans la fonction publique (LPFP) régit tous les aspects des pensions de retraite. La Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) s'applique aux relations entre le gouvernement et ses travailleurs, syndiqués ou non.

2.2 Accréditation des unités de négociation - LRTFP

La LRTFP accorde à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) le pouvoir de définir les unités de négociation et d'accréditer les agents négociateurs comme représentants exclusifs des employés appartenant à ces unités. Dix-sept syndicats11 sont actuellement les représentants accrédités des employés en vertu de la LRTFP. Leur taille varie entre 122 000 employés, représentés par l'Alliance de la fonction publique du Canada, et les 11 employés restants au sein de l'unité de négociation du contrôle du trafic aérien (AI) depuis le transfert des services de contrôle du trafic aérien à Nav Canada, qui sont représentés par l'Association canadienne du contrôle du trafic aérien.

Bien que la CRTFP ait le pouvoir de définir les unités de négociation, les dispositions pertinentes de la LRTFP et de la Loi sur la réforme de la fonction publique (LRFP) de 1992 ont abouti à la création d'unités de négociation alignées sur le système de classification de l'employeur. La LRFP obligeait le Conseil du Trésor à définir, avant le 1er avril 1999, les groupes d'employés dans la fonction publique selon leurs tâches. Le Conseil du Trésor a avisé les agents négociateurs de son intention de réduire le nombre d'unités de négociation qu'ils représentaient et a cherché à obtenir leur accord sur les groupes d'employés qui formeraient la base des nouvelles unités de négociation. Une entente est intervenue et, en mars 1999, Le Conseil du Trésor a officiellement réduit le nombre d'unités de négociation de 72 à 25.

  • La Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP), qui accorde à la Commission de la fonction publique le pouvoir en matière de dotation.
  • La Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), qui accorde au Conseil du Trésor la responsabilité de déterminer la plupart des conditions d'emploi.
  • La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), qui réglemente la négociation collective.
  • La Loi sur la pension dans la fonction publique (LPFP), qui régit tous les aspects des pensions de retraite.
  • La Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), qui interdit la discrimination.

 

2.3 Arbitrage, conciliation-grève et processus de désignation

La LRTFP accorde à l'agent négociateur le droit de choisir le mécanisme de règlement des différends que constitue l'arbitrage ou celui de la conciliation-grève pour résoudre une impasse dans les négociations collectives. En 1996, le gouvernement a suspendu le droit des agents négociateurs de choisir l'arbitrage pour une période de trois ans. En 1999, ce droit a été suspendu pour une période supplémentaire de deux ans, c'est-à-dire jusqu'en juin 2001.

Tous les employés des unités de négociation qui ont choisi la voie de la conciliation-grève ne sont pas autorisés à faire la grève lorsque leur unité de négociation est en position de déclencher légalement une grève. Les employés désignés en vertu de la LRTFP comme « exerçant, même partiellement, des fonctions qui sont, à un moment particulier, ou seront, après un délai déterminé, nécessaires pour la sécurité du public »12 doivent demeurer en poste. Les jugements rendus par les tribunaux en 1982 à l'endroit de l'unité de négociation AI ont fortement influé sur le nombre d'employés pouvant être désignés (voir le chapitre III). Bien que des modifications aient été apportées au processus de désignation dans la LRFP de 1992, les critères de désignation et le rôle de la Commission dans ce processus n'ont pas changé13.

2.4 Portée de la négociation et de l'arbitrage

La LRTFP limite la portée des questions négociables entre les parties. Dans l'éventualité d'un différend, elle limite encore davantage les questions pouvant être soumises à l'arbitrage.

En vertu du paragraphe 57(2) de la LRTFP, il ne peut y avoir de négociation sur des questions qui nécessiteraient l'adoption d'une loi au Parlement, sauf une loi de crédits. Plus précisément, il n'y a pas de négociation sur les critères de nomination, de promotion, de congédiement, de classification de postes et de changement technologique ou organisationnel. En outre, les employés du gouvernement fédéral ne peuvent négocier les questions relatives aux pensions de retraite14.

Aucune des questions mentionnées dans le paragraphe précédent ne peut faire l'objet d'une décision arbitrale. En outre, la dotation, qui relève de la compétence de la Commission de la fonction publique, et les évaluations du rendement sont expressément exclues de la compétence des arbitres. Le paragraphe 69(3) de la LRTFP interdit aussi aux arbitres de traiter de questions touchant à l'organisation de la fonction publique, à l'attribution des tâches aux employés et à la classification des postes.

La Loi renferme par ailleurs une disposition relative aux droits des gestionnaires : « La présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l'autorité de l'employeur quant à l'organisation de la fonction publique, à l'attribution des fonctions aux postes et à la classification de ces derniers »15. Bien que l'employeur ait le droit de céder volontairement une partie de ses pouvoirs à cet égard, il ne l'a fait que rarement.

De plus, la Loi interdit qu'une convention collective ou une décision arbitrale modifie, supprime ou ajoute une condition d'emploi nécessitant la modification d'une loi. Une interdiction semblable vise tout changement à une condition d'emploi qui a été ou pourrait être établie conformément à la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État16 , la LEFP ou la LPFP.

2.5 Mécanismes de recours en vertu de la LRTFP

La LRTFP prévoit des modalités de recours pour ce que l'on appellerait, dans le secteur privé, l'« arbitrage des droits ». Il y a toutefois des différences importantes entre les modalités prévues dans la LRTFP et les autres mécanismes d'arbitrage des droits.

La LRTFP établit une procédure de grief statutaire assortie d'un droit limité de décision par une tierce partie pour tous les employés, syndiqués ou non, concernant tout aspect de leur relation d'emploi. Contrairement à la pratique établie dans le secteur privé, les employés ont le droit de présenter un grief sans l'appui de leur syndicat, à moins que le grief ne porte sur l'interprétation ou l'application d'une convention collective ou d'une décision arbitrale.

Seulement deux restrictions s'appliquent aux griefs. La première est que l'objet de la plainte doit toucher l'employé concerné. Selon l'interprétation donnée à cette restriction, les syndicats n'ont pas le droit de présenter de griefs sur des questions de politique. La seconde restriction est que le grief doit porter sur une question à l'égard de laquelle aucune procédure administrative de recours n'est prévue dans ou en vertu d'une loi du Parlement. Récemment, cette disposition a été interprétée de manière à rejeter les griefs fondés sur les clauses de « non-discrimination » des conventions collectives, pour le motif que la Loi canadienne sur les droits de la personne offre une procédure administrative de recours17.

Bien que le droit de grief soit très étendu, un grief ne peut être soumis à un tiers indépendant pour décision que s'il vise l'interprétation ou l'application d'une convention collective ou d'une sentence arbitrale, une mesure disciplinaire « entraînant la suspension ou une peine financière », ou un congédiement ou une rétrogradation pour un motif autre que disciplinaire. Les employés des employeurs distincts ont des droits plus limités relativement au renvoi pour décision d'un grief visant un congédiement ou une rétrogradation pour un motif autre que disciplinaire.

2.6 Le rôle de la Commission de la fonction publique

La LEFP accorde à la Commission de la fonction publique (CFP) les pouvoirs en ce qui a trait à la dotation, à la protection du principe du mérite et aux restrictions visant l'activité politique des fonctionnaires. En pratique, la Commission a délégué son pouvoir de dotation aux ministères.

Cependant, la Commission supervise les mécanismes de recours liés à la dotation. La Direction générale des appels et des enquêtes entend les appels portant sur des nominations et fait enquête sur toute question, notamment de dotation, relevant de la compétence de la CFP. Les enquêtes sur des questions de dotation portent souvent sur des allégations de harcèlement, qui peuvent aussi donner lieu à un grief en vertu ou hors du cadre d'une convention collective. La Commission est responsable du déroulement des enquêtes concernant la participation présumée d'employés à des activités politiques.

2.7 La Loi canadienne sur les droits de la personne

La LCDP, qui interdit à l'employeur toute discrimination fondée sur un motif de distinction illicite, s'applique à tous les employés relevant de la compétence fédérale18. Cette loi a eu des répercussions importantes sur un certain nombre d'aspects des relations de travail19.

La première, examinée plus en détail au chapitre III, a trait aux plaintes en matière d'équité salariale. L'article 11 de la LCDP interdit les écarts de rémunération fondés sur le sexe pour un travail de valeur égale. Les agents négociateurs et les employeurs tentent de déterminer si la rémunération versée aux employés constitue une pratique discriminatoire aux termes de la Loi et de l'Ordonnance sur la parité salariale émise par la Commission. Les préoccupations au sujet du manque de neutralité entre les hommes et les femmes dans les multiples régimes de classification de l'employeur ont motivé ce dernier à élaborer la Norme générale de classification qui, à l 'origine, devrait entrer en vigueur le 1er avril 2000.

La seconde répercussion de la LCDP sur les relations de travail dans l'appareil fédéral a trait aux pratiques d'emploi dénoncées par des personnes ou leur agent négociateur comme étant discriminatoires. L'une des plaintes axée sur le libellé d'une convention collective dénonçait le fait que les directives sur le service extérieur n'étendaient pas la portée des avantages sociaux aux partenaires de même sexe. Dans un autre cas, on s'est attaqué aux pratiques de dotation de l'employeur en faisant valoir que les modalités d'avancement dans un ministère comportaient une discrimination raciale systémique.

2.8 Le Conseil national mixte

Un autre élément important du cadre des relations de travail dans la fonction publique fédérale est le Conseil national mixte (CNM). L'évolution de cet organisme est décrite au chapitre II. Constitué d'un nombre égal de représentants de l'« administration » et du « personnel », le CNM mène des consultations sur une gamme étendue de questions qui concernent la fonction publique. Outre les Directives sur le service extérieur, le CNM a conclu des ententes sur des questions telles que la prime au bilinguisme, et a émis notamment la Directive sur le réaménagement des effectifs, la Directive sur les voyages, la Directive sur la réinstallation et la Directive sur les postes isolés. Le CNM traite aussi des régimes de santé et d'avantages sociaux. Les ententes intervenues au sein du CNM peuvent être intégrées aux conventions collectives en y faisant spécifiquement référence.


Chapitre III : Rappel historique

3.1 L'expérience antérieure : association-consultation

L'adoption de la LRTFP a mis fin à une longue période durant laquelle les employés de l'État, par l'intermédiaire d'associations d'employés, ont tenté de persuader l'employeur de la nécessité d'améliorer leurs conditions d'emploi par la consultation. Ressemblant beaucoup plus aux associations professionnelles modernes20 qu'à des syndicats, ces associations d'employés regroupaient les gestionnaires jusqu'aux plus hauts niveaux; elles n'étaient pas affiliées à des fédérations syndicales et évitaient de recourir à la grève ou à toute autre forme d'action militante. En choisissant l'approche de l'association-consultation, les employés du gouvernement faisaient l'hypothèse que s'ils présentaient leurs préoccupations de manière raisonnable et collégiale, le gouvernement serait disposé à les entendre.

Ces consultations ont représenté la limite permissible de l'action des employés gouvernementaux jusque bien après la Deuxième Guerre mondiale, sauf en Saskatchewan où, en 1944, le gouvernement provincial a accordé à ses employés les mêmes droits de négociation collective que ceux dont jouissaient les employés du secteur privé. Ailleurs au Canada, les gouvernements ont invoqué la doctrine de la souveraineté et joué sur la crainte de grèves paralysantes des services essentiels pour justifier leur opposition à la syndicalisation dans le secteur public.

Le gouvernement fédéral a choisi plutôt d'établir un système de consultation officiel avec ses syndicats. En 1944, il créa le Conseil national mixte (CNM) pour entendre les préoccupations des fonctionnaires fédéraux. Inspiré du modèle du « Whitley Council » de Grande-Bretagne21, mais sans en avoir tous les pouvoirs22, le CNM réunissait des représentants d'une douzaine d'associations d'employés et des responsables gouvernementaux.

Le CNM se réunissait périodiquement pour étudier des questions liées à l'emploi telles que le recrutement, la formation, les heures de travail, l'avancement, les mesures disciplinaires, la santé, le bien-être et l'ancienneté. Le principe directeur était que lorsque les deux parties arriveraient à s'entendre sur une question, des recommandations seraient présentées au Cabinet. Du fait que les responsables gouvernementaux jusqu'au niveau le plus élevé, y compris celui de sous-ministre, étaient représentés au CNM, on s'attendait à ce que le gouvernement accepte ses recommandations. Malheureusement, cela n'a pas toujours été le cas. Même si le gouvernement en venait habituellement à accepter les recommandations du CNM, c'était souvent au terme de délais et de modifications.

L'un des problèmes qui a surgi est que certaines questions, notamment celle de la rémunération, étaient considérées hors de la compétence du Conseil. En 1952, la tentative faite par les associations de recourir au mécanisme du Conseil pour établir la rémunération a été rejetée23. Comme l'a noté Barnes, cela contrastait nettement avec le Whitley Council, qui avait toujours eu le pouvoir de mener des consultations sur la rémunération. Un autre problème était l'absence de mécanisme exécutoire de règlement des différends. Si la partie patronale refusait toute entente sur une question, la partie syndicale n'avait aucun recours. Encore une fois, cela contrastait de façon marquée avec le modèle du Whitley Council, qui pouvait porter les différends en arbitrage, bien qu'il semble que les parties n'aient que rarement choisi ce recours et aient généralement été réticentes à l'envisager24.

À la fin des années 50 et au début des années 60, toute une série de facteurs allant de l'absence de hausses salariales à la transformation des ministères en grandes bureaucraties impersonnelles ont incité la plupart des employés gouvernementaux à délaisser le modèle de l'association-consultation pour adopter une forme plus traditionnelle de syndicalisme. Devant la frustration de leurs membres et reconnaissant que la consultation ne donnait tout simplement pas de résultats, les associations d'employés ont commencé à agir comme des syndicats. Certaines ont notamment rayé de leur constitution les dispositions interdisant le recours à la grève, ont exclu le personnel de direction et ont joint les rangs de fédérations ouvrières comme le Congrès du travail du Canada — des initiatives qui auraient été inconcevables quelques années plus tôt.

En 1962, le premier ministre John Diefenbaker a rejeté la hausse salariale recommandée par le CNM en affirmant qu'elle aurait été inflationniste25. Cette décision a convaincu les dirigeants des trois associations de la fonction publique fédérale de la futilité de mener d'autres consultations et les a incités à publier un communiqué conjoint réclamant la création d'un régime de négociation et d'arbitrage. Après la chute du gouvernement conservateur minoritaire et le déclenchement d'une élection, Claude Edwards, qui était alors à la tête de la Fédération du service civil du Canada, a écrit aux dirigeants des quatre partis politiques engagés dans l'élection pour leur demander d'exprimer la position officielle de leur parti sur la question de la négociation collective dans la fonction publique. Les quatre chefs de partis ont appuyé le principe général de la négociation collective, mais seul le chef du NDP, Tommy Douglas, s'est dit favorable à l'idée d'accorder le droit de grève aux employés du gouvernement fédéral26.

3.2 Adoption de la LRTFP

Le gouvernement libéral nouvellement élu promit d'accorder à ses employés le droit à la négociation collective et à l'arbitrage obligatoire comme mécanisme de règlement des différends. Pour donner suite rapidement à son engagement, le premier ministre Lester B. Pearson a créé le Comité préparatoire des négociations collectives dans la fonction publique, placé sous la présidence de monsieur A. D. P. Heeney, ancien président de la Commission du service civil. Le Comité Heeney a publié son rapport en 1965, recommandant l'adoption d'un régime de négociation collective et d'arbitrage.

Peu après la publication du rapport, une grève illégale des travailleurs postaux dans l'ensemble du pays, envers laquelle le public s'est généralement montré sympathique, a entraîné l'examen des recommandations du Comité. L'évolution de la situation au Québec à l'époque a aussi joué. Dans un revirement inattendu par rapport à la position qu'il avait maintes fois énoncée, à savoir que « la Couronne ne négocie pas avec ses sujets », le premier ministre du Québec, Jean Lesage, a accordé aux employés de la province et aux autres travailleurs du secteur public le droit de grève dans le contexte d'une libéralisation en profondeur du Code du travail du Québec en 196527.

Prenant la parole en avril 1966, lors du dépôt à la Chambre des communes du projet de Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui visait à accorder aux employés fédéraux le droit à la négociation collective, le premier ministre Pearson a affirmé ce qui suit :

« Le principe voulant que les fonctionnaires aient l'occasion de participer à un tel régime a été appuyé largement dans la collectivité canadienne. […] Pour ceux qui ont toujours été désignés comme ‘serviteurs de la Couronne', c'est-à-dire serviteurs du peuple, et dont les termes et conditions d'emploi ont été déterminés par le Parlement ou par les divers gouvernements, cette mesure donnera le droit de participer à la détermination conjointe de ces termes et conditions. Cette procédure est fondée sur l'équité et l'égalité entre le gouvernement en tant qu'employeur et les organismes représentant ses employés. […] Le changement nécessitera des adaptations importantes dans les méthodes et modalités établies et dans les attitudes traditionnelles de tous ceux qui sont directement en cause. »28

Monsieur Pearson a ajouté qu'en élaborant cette nouvelle mesure législative, le gouvernement visait quatre grands objectifs : « … protéger l'intérêt public; répondre de façon compréhensive et responsable aux buts et aspirations de ses employés organisés; permettre au service public de continuer à fonctionner avec efficacité en servant la population du Canada; et respecter les principes fondamentaux des lois et de la pratique des relations industrielles au Canada. »29

La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a été adoptée par le Parlement en 1967. Pour paraphraser Robert Armstrong (1968, p. 455), ce projet de loi représentait le point culminant de quelque dix années d'effort, d'adaptation et de changement dans les relations employeur-employés dans la fonction publique fédérale30.

Inspirée du Wagner Act31 des États-Unis, à l'instar d'autres lois canadiennes visant le secteur privé, la LRTFP s'en écartait néanmoins sur plusieurs points importants. Outre le fait que le projet de loi renfermait une disposition offrant le choix du mécanisme de règlement d'un différend, qui visait à tenir compte de l'intérêt public, les syndiqués occupant des postes désignés comme étant nécessaires à la sécurité du public n'étaient pas autorisés à faire la grève. En contrepartie de cette restriction au droit de grève du syndicat, l'employeur fédéral ne pouvait recourir au lock-out de ses employés.

Le gouvernement fédéral étant divisé sur l'opportunité d'accorder le droit de grève aux employés, une disposition offrant le « choix de la procédure » a été élaborée en guise de compromis politique, selon la notion que les travailleurs de l'État avaient tendance à être moins militants que ne l'étaient habituellement les cols bleus syndiqués et qu'ils choisiraient plus probablement la voie de l'arbitrage que celle de la conciliation et de la grève. La déclaration de monsieur Pearson lors du dépôt de la LRTFP laisse penser que le gouvernement s'attendait à ce que l'arbitrage soit la norme dans le règlement des différends ouvriers dans la fonction publique fédérale32. Et, durant la première décennie suivant l'adoption du projet de loi, c'est effectivement ce qui s'est produit.

3.3 L'expérience initiale sous l'empire de la LRTFP

Entre 1967 et 1976, la négociation dans la fonction publique a fonctionné raisonnablement bien. De façon générale, les règlements ont été librement négociés avec très peu d'intervention législative. Les syndicats de la fonction publique ont pu négocier non seulement de bonnes ententes salariales, mais aussi des améliorations au niveau des avantages sociaux et des conditions de travail. En outre, comme le gouvernement l'avait prévu, la plupart des syndicats se sont contentés de recourir à l'arbitrage lorsque les négociations ont abouti à une impasse. En 1970, 88 p. 100 des unités de négociation de la fonction publique, représentant 81 p. 100 des employés du gouvernement fédéral, optèrent pour l'arbitrage33.

Mais, en 1975, la situation économique avait changé. Cette année-là, le gouvernement fédéral a imposé, dans l'ensemble de l'économie, un programme triennal de contrôles des prix et des salaires. Partout au Canada, les syndicats ont réagi en devenant plus militants. Un nombre croissant d'unités de négociation de la fonction publique ont choisi la voie de la conciliation et de la grève, plutôt que celle de l'arbitrage. En 1975 seulement, 14 unités de négociation représentant quelque 80 000 travailleurs ont délaissé l'arbitrage pour choisir la grève. En 1984, seulement 25 p. 100 des employés fédéraux appartenaient à des unités de négociation ayant opté pour l'arbitrage34.

Même lorsque les contrôles ont pris fin, le gouvernement a continué d'appliquer des politiques plus restrictives envers ses syndicats. En 1978, il n'a pas attendu pour laisser les travailleurs postaux négocier leur premier contrat depuis la fin des contrôles; il a adopté une loi prolongeant les dispositions de l'entente en vigueur jusqu'après l'élection fédérale imminente35. La même année, le gouvernement fédéral a pris des mesures pour restreindre sensiblement les droits de ses employés en apportant une série de modifications à la LRTFP. Ces modifications englobaient des restrictions au droit de grève, l'adoption d'un droit de lock-out, l'extension du principe de l'exclusion des postes de direction et l'imposition d'un lien entre les décisions arbitrales et les règlements salariaux du secteur privé. Ces modifications ont éventuellement été retirées, mais elles donnaient une indication de l'état d'esprit du gouvernement à l'époque.

3.4 Les années 80 - Restriction des droits à la négociation

La crise des prix pétroliers survenue en 1979 et la reprise de l'inflation au début des années 80 ont incité le gouvernement à adopter à nouveau des contrôles en 1982. Cette fois, les contrôles s'appliquaient uniquement aux salaires et seulement dans le secteur public. Le programme est entré en vigueur en juillet 1982 et visait toutes les conventions collectives fédérales pour une période de deux ans, en prévoyant des hausses annuelles de traitement de 6 et 5 p. 10036. La rémunération au mérite, les augmentations d'échelon et les primes de rendement étaient interdites, tandis que les contrats déjà signés qui prévoyaient des hausses supérieures aux limites permises étaient annulés37.

Suite au programme de contrôles, toute négociation collective réelle s'est trouvée suspendue pour deux ans, même sur les questions non monétaires. Le gouvernement a reconnu que ses employés n'étaient pas plus responsables que quiconque du contexte inflationniste; mais il était d'avis qu'il devait faire preuve de leadership en matière de restrictions en donnant l'exemple aux autres employeurs, notamment ceux du secteur public qui ne relevaient pas de sa compétence.

Au moment même où un plus grand nombre d'unités de négociation optaient pour la voie de la conciliation et de la grève, le gouvernement s'efforçait d'accroître le nombre de travailleurs considérés « essentiels » et, ainsi, leur interdire le droit de grève. Avant 1982, le Conseil du Trésor établissait une liste des employés désignés et toute divergence entre le Conseil du Trésor et le syndicat au sujet de cette liste était tranchée par la CRTFP. On prenait pour acquis que la CRTFP avait le pouvoir de déterminer le niveau de service requis pour protéger la sécurité du public.

Mais un jugement rendu par la Cour suprême du Canada en 1982 a changé la situation. Le tribunal a statué que le gouvernement avait le droit unilatéral de déterminer le niveau de service devant être offert. Le tribunal a aussi indiqué que les employés désignés devaient assumer toutes leurs tâches habituelles durant une grève et non uniquement les tâches essentielles. Suite au jugement de la Cour suprême, les niveaux de désignation furent sensiblement relevés38.

Au cours de la seconde moitié des années 80, le régime de négociation collective a de nouveau fonctionné raisonnablement bien. Des ententes cadres englobant l'AFPC et l'IPFPC ont pu être négociées. Durant cette période, le gouvernement et ses syndicats se sont aussi entendus sur une politique de réaménagement des effectifs qui visait à obtenir la collaboration des syndicats dans l'application de la politique de réduction du personnel du gouvernement.

Entre 1985 et 1990, suite à une promesse faite en campagne électorale de réduire la taille de la fonction publique, le gouvernement a réduit l'effectif à temps plein de plus de 15 000 postes (environ 6 p. 100). La plupart des coupures ont pu se faire par attrition et de nombreux employés à temps plein ont été remplacés par des employés occupant des postes à temps partiel, de durée déterminée ou à statut occasionnel. Grâce aux ententes sur le réaménagement des effectifs, les employés permanents ont bénéficié d'une plus grande sécurité qu'auparavant.

En dépit de la réduction du nombre d'employés permanents et des hausses d'impôt, le déficit et la dette publique ont continué de croître. Dans le cadre de la stratégie qu'il a adoptée pour contrer cette tendance, le gouvernement a pris des mesures encore plus énergiques dans les années 90. Ces mesures et la réaction syndicale qu'elles ont suscitée sont décrites plus en détail dans le prochain chapitre.

Principaux événements ayant marqué l'évolution de la négociation collective dans la fonction publique fédérale de 1944 à 2000

1944

  • Les travailleurs du secteur privé obtiennent des droits de négociation collective aux termes de l'Arrêté en conseil PC1003.
  • Le gouvernement de la Saskatchewan accorde à tous les travailleurs, y compris ses propres employés, des droits complets de négociation collective et de grève.
  • Création du Conseil national mixte (CNM) à Ottawa.

1958

  • Premier rapport Heeney, qui propose la consultation en matière de rémunération dans la fonction publique fédérale.

1962

  • Le premier régime de consultation salariale dans la fonction publique fédérale entre en vigueur.
  • Le premier ministre John Diefenbaker annonce un gel des salaires dans la fonction publique, rejetant la hausse de traitement recommandée par le CNM.
  • Les dirigeants des trois associations du service civil fédéral déclarent futile toute consultation supplémentaire et réclament un régime de négociation collective avec arbitrage obligatoire.

1963

  • Le gouvernement libéral minoritaire de Lester B. Pearson est élu. Monsieur Pearson promet la négociation et l'arbitrage obligatoire dans la fonction publique et crée le « Comité préparatoire », que préside monsieur Heeney.

1965

  • Les syndicats des Postes déclenchent une grève illégale dans l'ensemble du pays.
  • Le Québec accorde aux travailleurs du secteur public, y compris ses propres employés, des droits complets en matière de négociation et de grève.
  • Second Rapport Heeney, qui recommande un régime de négociation collective dans la fonction publique, assorti de l'arbitrage obligatoire comme mécanisme de règlement des différends.

1967

  • Adoption de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La loi accorde aux employés du gouvernement fédéral des droits de négociation collective, elle établit un nouveau régime de règlement des différends et accorde aux syndicats le droit de choisir entre l'arbitrage obligatoire et la grève.

1975

  • Le premier ministre Pierre Trudeau annonce l'imposition d'un programme triennal de contrôles des prix et des salaires qui s'applique à l'ensemble de l'économie.

1982

  • Le gouvernement fédéral annonce une deuxième ronde de contrôles, qui s'appliquent cette fois uniquement aux salaires et seulement aux employés de la fonction publique fédérale. Au cours des années qui suivent, chaque province adopte sa propre version du programme de contrôle des salaires dans la fonction publique.
  • Le jugement de la Cour suprême sur les niveaux de désignation visant les contrôleurs de la circulation aérienne accorde au gouvernement le droit unilatéral de déterminer les niveaux de service devant être offerts durant un arrêt de travail.

1984

  • Le gouvernement conservateur majoritaire est élu en proposant un programme de réduction de la taille et du rôle du gouvernement.

1984-1986

  • Début des « modalités de négociation cadres » centralisées entre le gouvernement et ses deux plus importants syndicats, l'AFPC et l'IPFPC.

1985

  • Le gouvernement et les syndicats négocient la première entente sur le réaménagement des effectifs.

1988

  • Négociation de la seconde entente sur le réaménagement des effectifs.

1990

  • L'initiative « Fonction publique 2000 » est lancée en vue de promouvoir l'habilitation des employés fédéraux et la mobilité du personnel entre les ministères.

1991

  • Le budget fédéral gèle de fait la rémunération dans la fonction publique.
  • Première grève de l'AFPC dans l'ensemble du pays (en septembre), interrompue par une loi.
  • Le gouvernement et l'AFPC négocient une nouvelle politique de réaménagement des effectifs qui améliore sensiblement la sécurité d'emploi du personnel permanent.

1992

  • Le gouvernement fédéral abolit le Bureau de recherche sur les traitements, le Conseil économique du Canada et 37 autres organismes et conseils de l'État.
  • Les contrats de travail en vigueur dans la fonction publique sont prolongés pour deux autres années sans hausse salariale.
  • La Loi sur la réforme de la fonction publique entre en vigueur. Une des principales dispositions de cette loi permet la mutation des employés à d'autres postes de même niveau sans concours.

1993

  • Un gouvernement libéral majoritaire est élu.

1994

  • Le premier budget libéral gèle les salaires pour deux autres années et réduit les dépenses militaires et les budgets de fonctionnement des ministères civils.
  • L'Examen des programmes, qui vise à réduire et à redéfinir le rôle du gouvernement, est lancé.

1995

  • Le gouvernement suspend les ententes de réaménagement des effectifs dans les ministères les plus touchés par les réductions de personnel, en leur substituant diverses primes de départ à la retraite.
  • Dans le budget de février, le gouvernement annonce la suppression de 45 000 emplois dans la fonction publique au cours des trois prochaines années.

1996

  • Le gouvernement élargit sa définition d'« offre d'emploi raisonnable » pour y inclure un emploi dans une entreprise du secteur privé à un salaire équivalant à 85 p. 100 ou plus de la rémunération originale de l'employé.
  • Le gouvernement annonce que la négociation collective reprendra en 1997, mais que l'arbitrage salarial demeurera suspendu jusqu'en 1999.

1997

  • Le gouvernement adopte une loi restreignant les hausses de rémunération dans la fonction publique. La négociation collective dans la fonction publique reprend.

1998

  • Le Tribunal canadien des droits de la personne ordonne au gouvernement de verser rétroactivement près de 4 milliards de dollars en salaire à 200 000 employés actuels et passés des groupes professionnels à prédominance féminine.
  • Le gouvernement porte devant la Cour d'appel fédérale le jugement sur l'équité salariale.

1999

  • Après que la Cour d'appel fédérale ait confirmé le jugement du Tribunal canadien des droits de la personne, le gouvernement négocie un règlement sur la question de l'équité salariale avec l'AFPC.
  • Grève du groupe des opérations et du groupe des services correctionnels de l'AFPC, interrompue par une loi.
  • Le gouvernement adopte une loi confisquant la totalité des surplus des caisses de retraite de ses employés.
  • L'arbitrage salarial est suspendu pour deux autres années.

2000

  • La Norme générale de classification (NGC) doit entrer en vigueur.

 


Chapitre IV : L'expérience récente

4.1 Le début des années 90

Dans son budget de février 1991, le gouvernement affirmait qu'il n'y aurait aucune augmentation de salaires pour une année à moins que les agents négociateurs ne consentent à une réduction des niveaux d'emploi. Le gouvernement affirmait aussi que les hausses salariales de plus de 3 p. 100 ne seraient pas considérées pour les trois prochaines années. Les syndicats et leurs membres ont réagi négativement aux restrictions proposées.

Après le dépôt du budget, une commission de conciliation a recommandé que les employés du groupe des services administratifs de l'AFPC reçoivent une hausse de traitement de 6 p. 100 la première année et un montant légèrement inférieur la seconde année. Le Conseil du Trésor a rejeté cette recommandation et l'AFPC a déclenché une grève à l'échelle nationale. Dans l'intervalle, la CRTFP a statué que le gouvernement avait négocié de mauvaise foi en insistant pour que l'AFPC accepte, comme condition préalable aux négociations, la politique de restrictions annoncée dans le budget.

Le gouvernement a ensuite adopté une loi prolongeant pour deux ans tous les contrats de travail qui n'avaient pas donné lieu à une entente, y compris ceux visant les employés des services administratifs. La loi prévoyait des hausses salariales de 0 p. 100 et de 3 p. 100 ainsi que l'imposition de lourdes amendes si la grève se poursuivait.

À la fin de 1991, le gouvernement et l'AFPC ont négocié une nouvelle Directive sur le réaménagement des effectifs (DRE) traitant de la sécurité d'emploi des employés occupant des postes de durée indéterminée. Cette entente a été adoptée par le Conseil national mixte et appliquée subséquemment à tous les syndicats de la fonction publique.

Dans cette directive, en échange du droit de recourir à la sous-traitance, l'employeur acceptait de faire une « offre d'emploi raisonnable » à tout employé excédentaire qui pourrait recevoir une formation afin d'exécuter de nouvelles tâches et qui était prêt à accepter une réinstallation. Le salaire de l'employé était protégé si l'offre portait sur un poste moins bien rémunéré. De même, les employés déplacés par la sous-traitance devaient recevoir un préavis de 12 mois et l'employeur s'engageait à leur offrir un autre poste de durée indéterminée.

Ces dispositions représentaient une amélioration par rapport aux ententes antérieures sur le réaménagement des effectifs, qui prévoyaient un préavis de mise à pied de six mois pour les employés excédentaires, une protection salariale d'un an et jusqu'à une année de recyclage39.

Cependant, la position adoptée par le gouvernement sur les questions économiques a tôt fait de reléguer au second plan les événements entourant le réaménagement des effectifs. En février 1992, le gouvernement a démantelé le Bureau de recherche sur les traitements, de même que 38 autres commissions et organismes gouvernementaux. En novembre 1992, les inquiétudes suscitées par la baisse des recettes fiscales ont amené le gouvernement à prolonger les contrats de travail en vigueur pour une autre période de deux ans sans hausse de salaire.

En outre, le gouvernement a limité encore davantage l'accès à la négociation collective dans la Loi sur la réforme de la fonction publique (LRFP) de 1992. Les motifs d'exclusion de la négociation collective ont été étendus en permettant au Conseil du Trésor d'exclure tous les employés ayant « des attributions les amenant à participer, dans une proportion notable, à l'élaboration de politiques ou de programmes du gouvernement fédéral ». Le recours accru aux employés occasionnels ou nommés pour une période déterminée40 et la nouvelle politique d'exclusion faisaient surgir la menace d'une réduction du nombre d'employés syndiqués.

Un autre changement important permettait la « mutation » des employés à des postes de même niveau sans concours. Cette procédure simplifiait la dotation mais réduisait le nombre de concours et, ainsi, limitait à la fois les chances d'avancement et les droits d'appel. Les syndicats se sont plaints du fait que la procédure de mutation mettait en péril le principe du mérite.

Bon nombre de ces changements sont survenus dans le contexte de l'initiative FP 2000. En elle-même, cette initiative a été une source de la méfiance entre l'employeur et les syndicats. Les syndicats l'ont condamné, y voyant une mesure41 « résolument centrée sur la gestion » qui ne les impliquait pas. Éventuellement, les syndicats ont été invités à faire valoir leur point de vue aux groupes de travail concernés et ils ont eu une certaine influence sur quelques recommandations particulières42.

En 1993, la désillusion des syndicats à l'égard du gouvernement était complète. Les présidents de l'AFPC et de l'IPFPC ont dénoncé le gouvernement conservateur comme étant le pire employeur qu'ils n'aient jamais eu. L'AFPC a adopté comme ligne de conduite de lutter contre la réélection du gouvernement43. Ce dernier a éventuellement subi la défaite et a été remplacé par un gouvernement libéral, qui avait fait campagne en promettant de rétablir la libre négociation collective dans la fonction publique.

4.2 La fin des années 90

En 1994, dans son premier budget, le nouveau gouvernement a prolongé le gel des salaires dans la fonction publique pour deux autres années et il a bloqué les hausses d'échelon au mérite. Le budget comportait des réductions de près de 500 millions de dollars dans les budgets de fonctionnement des ministères civils; des compressions encore plus rigoureuses étaient annoncées pour les deux prochains exercices, ainsi que de fortes réductions dans les dépenses militaires44. Ce qui est plus important pour la fonction publique, le budget amorçait un processus d'« examen des programmes » destiné à réduire la taille du gouvernement et à limiter ou à redéfinir son rôle dans de nombreux secteurs d'activité où il demeurerait présent.

Bien que l'Examen des programmes n'ait jamais été conçu uniquement comme une mesure de réduction des coûts, son impact le plus immédiat a été de priver de leur emploi des milliers de travailleurs de la fonction publique fédérale. Des pourparlers post-budgétaires eurent lieu entre le Conseil du Trésor et les syndicats de la fonction publique afin d'identifier des mesures spécifiques de réduction des coûts qui auraient pu servir à hausser les salaires ou à permettre les augmentations d'échelon. Les syndicats se sont retirés de cet « examen de l'efficience » parce qu'ils étaient d'avis que l'employeur n'avait aucunement l'intention d'appliquer les économies réalisées à la rémunération des fonctionnaires45.

En février 1995, le Conseil du Trésor a cherché à obtenir l'aval des syndicats en vue de modifier la disposition relative à l'« offre d'emploi raisonnable » contenue dans la Directive sur le réaménagement des effectifs (DRE). Après l'échec de ces négociations, le Conseil du Trésor a suspendu unilatéralement la DRE dans les ministères les plus durement touchés par la réduction des effectifs et lui a substitué des primes de départ pour inciter les employés à prendre une retraite anticipée ou à quitter volontairement la fonction publique. Peu après, le ministre des Finances a présenté son budget de 1995, où il annonçait une réduction de 45 000 emplois dans la fonction publique au cours des trois années suivantes46.

La plupart des coupures dans la fonction publique ont été opérées dans le cadre de deux grands programmes d'incitation au départ : la Prime de départ anticipé et la Prime d'encouragement à la retraite anticipée (PERA). La première, qui ciblait les employés plus jeunes, offrait entre 39 et 90 semaines de traitement outre une indemnité de formation. La seconde mesure s'adressait aux employés de plus de 50 ans comptant au moins dix années de service. La PERA suspendait la pénalité frappant habituellement la pension lors d'un départ anticipé à la retraite et prévoyait le versement d'une indemnité maximale de 15 semaines de salaire.

En conséquence de ces programmes et d'autres mesures d'incitation, il y eut un minimum de mises à pied. Le gouvernement fédéral s'est mérité des éloges pour la façon humanitaire dont il a administré ses mesures de réduction des effectifs47. Mais, en pourcentage, la compression des effectifs a représenté la plus importante réduction de personnel au sein de l'appareil gouvernemental depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et il est clair que le moral des employés qui ont « survécu » à cette opération en a souffert. En outre, les travailleurs encore en poste ont dû redoubler d'ardeur pour assumer à la fois leur charge de travail et celle de leurs anciens collègues.

Alors que les plus jeunes et les plus âgés profitaient des mesures d'incitation au départ, certains observateurs ont commencé à émettre des mises en garde, en soulignant que la fonction publique serait constituée principalement de « baby boomers » âgés de 40 à 50 ans, c'est-à-dire d'employés qui auraient peut-être souhaité quitter mais qui ne pouvaient se le permettre. Ils attiraient par ailleurs l'attention sur le très grand nombre de postes qui allaient devoir être comblés lors du départ à la retraite de ces employés48.

Dans le budget de 1996, le gouvernement a annoncé une autre série de coupures. Cette année-là, l'employeur a aussi proposé certains changements à la Directive sur le réaménagement des effectifs, dont une définition plus étendue de l'« offre d'emploi raisonnable » afin d'y inclure une offre d'emploi dans une entreprise du secteur privé à un salaire de 85 p. 100 ou plus de la rémunération originale de l'employé. Dans ce cas, le salaire de l'employé serait « bonifié » pour une certaine période. Un préavis de mise à pied de quatre mois serait donné aux employés qui refuseraient une telle offre.

L'employeur a tenté d'obtenir l'aval des syndicats à ces modifications. Il les a avisés que s'ils n'y consentaient pas, les changements seraient appliqués unilatéralement. L'AFPC et l'AESS n'ont pas accepté les changements. Lorsque l'employeur a imposé unilatéralement sa nouvelle formule aux deux syndicats, leurs membres ont touché une bonification salariale pour une période plus brève que celle proposée à l'origine par le Conseil du Trésor, tandis que les membres des syndicats qui avaient accepté les modifications reçurent une bonification salariale pour une période plus longue.

Plus tard en 1996, le gouvernement a annoncé que les hausses d'échelon et la négociation reprendraient, mais pour faire en sorte que les restrictions se poursuivent, l'arbitrage des différends serait suspendu pour trois années supplémentaires.

Lorsque la négociation collective a repris en 1997, le gouvernement a adopté une loi modifiant la Loi sur la rémunération du secteur public, pour s'assurer que les hausses de rémunération seraient plafonnées à environ 2 p. 100. Cela a empêché les employés de rattraper l'écart attribuable aux augmentations de salaire qu'ils n'avaient pas touchées durant les six années précédentes. La plupart des ententes négociées au cours de la première ronde de négociations suivant le gel des salaires comportaient des hausses annuelles de traitement variant entre 2 et 2,5 p. 100. Lorsque les pénuries de personnel nécessitaient des hausses plus importantes, le Conseil du Trésor a généralement préféré recourir à des augmentations supplémentaires ou à des paiements forfaitaires, plutôt que de relever la rémunération de base. Presque tous les groupes qui ont touché des hausses salariales plus élevées (groupe de la direction, militaires et GRC) n'étaient pas syndiqués, un fait qui a été mal reçu par les syndicats49.

Même si l'actuelle ronde de négociations dans la fonction publique n'est pas terminée, elle semble suivre à peu près le même cheminement que la précédente. L'accès à l'arbitrage des différends étant gelé, les hausses salariales ont encore une fois oscillé autour de 2 p. 100, avec des paiements forfaitaires additionnels d'environ 1,5 p. 100 dans bien des cas.

4.3 Conflit au sujet de l'équité salariale

Depuis longtemps une source de friction entre l'employeur et ses agents négociateurs, la question de l'équité salariale s'est retrouvée au centre des relations patronales-syndicales durant les années 90.

Dès 1979, l'IPFPC avait déposé des plaintes contre l'employeur sur la question de l'équité salariale auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. En 1984, l'AFPC a déposé une plainte au nom d'environ 50 000 membres du groupe des commis aux écritures et règlements. Éventuellement, l'IPFPC et l'AFPC ont déposé des plaintes au nom de tous les groupes d'employés à prédominance féminine.

Le Conseil du Trésor et les syndicats ont convenu en 1985 de créer le Comité mixte patronal-syndical pour étudier l'étendue de l'écart salarial existant entre les emplois des groupes à prédominance féminine et ceux des groupes à prédominance masculine consi-dérés comme étant de valeur égale. Dans le cadre de cette initiative conjointe, les parties convenaient de corriger les écarts de traitement observés.

En 1990, après l'évaluation de l'échantillon de postes convenu, l'initiative s'est retrouvée dans une impasse. L'employeur a unilatéralement apporté des rajustements au titre de l'équité qui, selon les plaignants, ne suffisaient pas à refermer l'écart. La Commission canadienne des droits de la personne a reconnu que les paiements étaient insuffisants et de longues audiences ont alors débuté devant le Tribunal canadien des droits de la personne.

Bien que, dans le budget de 1992, le gouvernement conservateur ait évoqué la possibilité d'adopter une loi rétroactive à novembre 1990 pour limiter sa responsabilité à l'égard des plaintes déposées50, il n'est jamais allé de l'avant avec un projet de loi. En mars 1995, le Conseil du Trésor et l'IPFPC ont réglé les plaintes concernant quelque 1 700 membres appartenant à trois unités de négociation. Les montants versés au titre de ces rajustements totalisaient près de 72 millions de dollars.

En 1998, le Tribunal a ordonné au gouvernement de verser des rajustements de salaire rétroactifs, avec intérêts, à près de 200 000 employés actuels et passés des groupes à prédominance féminine représentés par l'AFPC51. Le gouvernement a décidé de porter en appel ce jugement représentant une somme de près de 4 milliards de dollars.

La décision d'aller en appel a provoqué l'indignation chez les employés concernés. Entre autres mesures de protestation, ils ont organisé une grande manifestation sur la Colline parlementaire et ont décrété un « jour de deuil » national, au cours duquel les membres de l'AFPC étaient invités à se présenter au travail vêtus de noir.

Après que la Cour d'appel fédérale eut rejeté la requête en appel du jugement du Tribunal canadien des droits de la personne, le gouvernement décida de ne pas porter la cause en appel à la Cour suprême. Plutôt, il négocia un règlement avec l'AFPC. Mais ce règlement ne s'applique pas à tous les employés du gouvernement fédéral. Comme il est indiqué au chapitre V, l'équité salariale demeure un sujet de préoccupation, notamment parmi le nombre sans cesse croissant d'organismes distincts.

4.4 Conflit au sujet des pensions de retraite

Les pensions de retraite sont devenues une autre source de conflit entre l'employeur et ses syndicats durant les années 90. En 1954, le Comité consultatif sur les pensions a été créé aux termes de la Loi sur la pension dans la fonction publique; il réunit des représentants de l'employeur et des syndicats. Dans un rapport publié en 1996, le Comité a fait des recommandations en vue d'une réforme des caisses de retraite, y compris des propositions traitant du placement des fonds des caisses de retraite sur les marchés de capitaux et de la création d'une commission patronale-syndicale conjointe.

En 1998, on a créé le Comité consultatif sur la réforme des pensions dans la fonction publique en prévoyant en venir à une entente dans ce dossier avant la fin de l'année52. Mais le Comité s'est retrouvé dans une impasse sur la question de la propriété des surplus actuariels des caisses de retraite. En 1999, le gouvernement a adopté une loi pour s'approprier le surplus actuariel et, contrairement à la recommandation du Comité consultatif, il n'a pas créé de conseil patronal-syndical conjoint. Le texte de loi prévoyait cependant la création de l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public.

4.5 Le climat actuel

La frustration accumulée après des années de suspension de la négociation, de gel de la rémunération et de l'arbitrage, de charges de travail plus lourdes et de la perception, répandue parmi les employés, de l'absence de toute chance d'avancement a attisé le militantisme des syndicats dans la fonction publique fédérale. Ce militantisme a pris diverses formes, notamment des manifestations publiques et des grèves. Le sentiment de frustration semble aussi avoir amené beaucoup d'employés à songer à quitter la fonction publique. Une enquête menée en 1999 par Duxbury, Dyke et Lam auprès des travailleurs du savoir a révélé que le tiers seulement des répondants avaient un niveau d'engagement élevé à l'égard de la fonction publique. Dans le secteur privé, le niveau d'engagement atteint souvent le double de celui observé dans l'enquête. Le rapport indique par ailleurs qu'environ les trois quarts des fonctionnaires avaient songé à quitter leur emploi53.

Dans l'enquête de Duxbury et al., les aspects les plus pénibles du travail dans la fonction publique résultent des problèmes posés par la bureaucratie, y compris les problèmes de personnel, la culture et le climat de travail, l'intervention politique et la perception d'un manque de respect de la part des gestionnaires et du public en général54.

Des constatations semblables ressortent d'autres études récentes. À titre d'exemple, le Sondage de 1999 auprès des fonctionnaires fédéraux a révélé un niveau élevé d'insatisfaction attribuable aux lourdes charges de travail, aux longues heures et aux possibilités limitées d'avancement. Les résultats indiquent en outre que de nombreux fonctionnaires estiment que les procédures de sélection, de classification et de promotion sont injustes, que les employés du gouvernement fédéral ont peu à dire dans les décisions et les mesures qui affectent leur travail et que les cadres supérieurs ne feront probablement pas grand chose pour corriger les problèmes révélés par l'enquête55.

Dans une veine légèrement différente, une étude réalisée par le Forum des politiques publiques (FPP)56 a révélé un « fossé croissant » entre la législation du travail actuelle et la réalité du milieu de travail dans la fonction publique. L'étude du FPP indique que l'approche réglementaire normative qui sous-tend la LRTFP a miné la capacité de promouvoir des relations efficaces et productives entre travailleurs et gestionnaires. Le rapport recommande une révision en profondeur du cadre législatif qui régit les relations patronales-syndicales dans la fonction publique, notamment la LRTFP, et il souligne l'importance de tenter de renforcer la confiance dans les instances patronales-syndicales de la fonction publique en favorisant et en facilitant une consultation constante et significative entre l'employeur et ses employés. En outre, le rapport recommande l'élaboration de programmes de formation ayant pour but d'accroître les compétences des professionnels des relations patronales-syndicales dans la fonction publique.

Plus récemment, le Rapport du Vérificateur général pour l'an 2000, qui vient de paraître, qualifie le cadre de gestion des ressources humaines dans la fonction publique d'« indûment complexe et périmé ». Selon le Vérificateur général, ce cadre convient mal à un contexte où la souplesse et l'adaptabilité sont essentielles, alors que le gouvernement fait face à de redoutables défis pour recruter des candidats sur un marché du travail de plus en plus concurrentiel.

Sur une note plus positive, le Conseil du Trésor, des agents négociateurs membres du CNM et l'Association nationale des retraités fédéraux ont récemment conclu une entente quinquennale sur la gestion du Régime des soins de santé de la fonction publique (RSSFP). Depuis le 1er avril 2000, le RSSFP est géré par une fiducie dont les membres sont nommés par les agents négociateurs, les représentants des pensionnés et l'employeur. Un élément clé de cette entente est que les primes mensuelles de la protection de base pour les soins de santé n'augmenteront pas durant la période de cinq ans.

4.6 Conclusion

Dans ce chapitre et dans les deux précédents, nous avons tenté de préciser le contexte de notre examen de l'état actuel des relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale en retraçant l'évolution des relations entre les travailleurs et l'employeur depuis les débuts de la négociation collective dans la fonction publique en 1967. Dans le prochain chapitre, nous examinons les résultats qui ressortent des entrevues réalisées par le Comité, des questionnaires et des audiences, ainsi que les autres renseignements obtenus auprès de professionnels, passés et actuels, des relations de travail dans la fonction publique qui représentent les points de vue des syndicats et de la direction.


Chapitre V : Principales constatations

Afin de dégager un tableau clair de l'expérience de la négociation collective dans la fonction publique, le Comité a fait parvenir un questionnaire aux sous-ministres de tous les ministères, aux dirigeants de tous les organismes distincts et à tous les agents négociateurs accrédités. Certaines personnes ayant participé à la négociation dans le secteur public au cours des premières années ont aussi été interviewées à partir d'une même grille d'entrevue. Enfin, tous les agents négociateurs et certains dirigeants de ministère ont été invités à faire une présentation devant le Comité. En outre, un exercice de remue-méninges s'est déroulé à la mi-janvier 2000. Dans le présent chapitre, nous résumons les principales constatations qui ressortent de ces diverses sources.

5.1 Sommaire des principales constatations qui ressortent du questionnaire

Dans l'ensemble, les expériences de négociation collective des ministères et des organismes ont été plus positives que celles des agents négociateurs.

Néanmoins, comme il est indiqué ci-dessous, les ministères et organismes et les agents négociateurs s'entendent sur de nombreux éléments où le régime de négociation collective semble mal fonctionner. Dans l'ensemble, il y a plus de points sur lesquels les deux parties s'entendent que de points sur lesquels elles divergent d'opinion.

Points sur lesquels les parties s'entendent

  • Les ministères et organismes et les agents négociateurs s'entendent pour dire que le processus de négociation s'est détérioré ces dernières années. Aucune des parties n'a souligné de nombreux aspects positifs au sujet du processus de négociation collective et elles s'entendent sur le fait que la plupart des problèmes sérieux qui ont été énumérés persistent.
  • Les deux parties sont satisfaites des régimes d'avantages sociaux, en particulier des avantages liés à la famille, qui résultent de la négociation collective dans la fonction publique.
  • En ce qui a trait au processus de négociation, les deux parties ont fortement critiqué le gouvernement pour son intervention dans le régime de négociation en suspendant la négociation et l'arbitrage, en gelant les salaires et en ayant recours à une loi de retour au travail pour mettre fin aux grèves. Les deux parties ont cité les mesures prises unilatéralement par le gouvernement comme étant le principal facteur responsable de la détérioration des relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale.
  • Les deux parties sont fortement préoccupées au sujet du mandat étroit que le Conseil du Trésor accorde aux négociateurs gouvernementaux et de l'incapacité de certains ministères de concevoir des règlements convenant à leurs besoins particuliers. Il est à noter que les organismes distincts éprouvent des difficultés particulières à traiter avec le Conseil du Trésor.
  • Les deux parties ont louangé le travail du Bureau de recherche sur les traitements et du Conseil national mixte.

Points sur lesquels les parties ne s'entendent pas

  • Le nombre de questions amenées à la table de négociation et la complexité des unités de négociation et de la classification semble préoccuper uniquement les employeurs.
  • La portée des questions négociables semble préoccuper uniquement les agents négociateurs.
  • Les exclusions du processus de négociation et les désignations préoccupent les deux parties dans une certaine mesure, mais la préoccupation est plus grande du côté des agents négociateurs. Par contre, les deux parties sont préoccupées par la question de l'équité salariale, mais la préoccupation semble plus grande du côté des ministères et, en particulier, des organismes, qui s'inquiètent de ce qu'ils perçoivent comme une application inéquitable des règlements récents en matière d'équité salariale.

5.2 Résumé des principales constatations qui sont ressorties des entrevues

  • On s'entend généralement sur le fait que les mesures prises unilatéralement par le gouvernement, par exemple le gel de salaires, la suspension de la négociation et de l'arbitrage, les lois de retour au travail, la portée étroite des questions négociables et arbitrables, ainsi que l'abolition du Bureau de recherche sur les traitements, ont nui au processus de négociation collective dans la fonction publique.
  • On s'entend généralement pour dire que le niveau de confiance entre les parties est faible et qu'il s'est détérioré ces dernières années.
  • On s'entend généralement pour dire que la négociation collective s'est détériorée depuis 1980 et que les problèmes qui sont ressortis de l'examen du régime de négociation au fil des années se posent toujours.
  • L'élément « générationnel » semble avoir plus d'importance que le rôle joué par le répondant. Plus précisément, les personnes dont l'expérience des relations patronales-syndicales s'est située principalement avant 1980 ont généralement exprimé un point de vue plus positif au sujet de leur expérience de la négociation collective dans la fonction publique que les personnes dont l'expérience se situe principalement dans les années 90.
  • On s'entend généralement pour dire que les aspects positifs du processus de négociation comprennent l'interaction entre les parties, le travail du CNM et le rôle de la négociation collective dans le règlement des questions relatives au réaménagement des effectifs et à la sécurité d'emploi.
  • Parmi les questions qui préoccupent uniquement le côté patronal, il y a la structure de l'AFPC et l'incapacité apparente de ce syndicat de ratifier les ententes négociées à la table.

5.3 Présentations des représentants de la direction et des agents négociateurs

Quatre groupes représentant les gestionnaires et le personnel de direction du gouvernement et dix agents négociateurs ont fait une présentation au Comité durant les mois de février et mars 2000. De nombreux points abordés par les agents négociateurs recoupaient ceux qu'ils avaient abordés auparavant dans des mémoires écrits. La question du recoupement ne s'est pas posée dans le cas du groupe des gestionnaires gouvernementaux parce que les groupes qui ont comparu n'étaient pas les mêmes que ceux qui avaient présenté un mémoire écrit.

Comme dans le cas des mémoires écrits, on a relevé des points de convergence et de divergence entre la partie patronale et les agents négociateurs.

Points sur lesquels les parties s'entendent

  • Les deux côtés sont préoccupés par le manque de confiance entre les parties.
  • Les deux côtés sont préoccupés par la durée et la complexité du processus de négociation.
  • Les deux côtés sont d'avis que l'intervention fréquente du gouvernement a nui au fonctionnement du régime de négociation collective dans la fonction publique.
  • Les deux côtés s'inquiètent de la formation insuffisante des gestionnaires gouvernementaux en matière de relations patronales-syndicales et de la faible priorité que le gouvernement semble accorder à la formation dans ce domaine.
  • Les représentants des deux parties se sont plaints du fait que les négociateurs gouvernementaux ne comprennent souvent pas les questions qu'ils négocient ou le contexte particulier de certains ministères.
  • Les représentants des deux parties ont suggéré que l'on utilise davantage la médiation, les comités informels de résolution des problèmes et de formes alternatives de règlement des différends.
  • On constate un appui des deux côtés pour le rétablissement du Bureau de recherche sur les traitements ou une autre source équivalente — autonome et politiquement neutre — de données économiques.
  • Les deux parties semblent favorables à l'idée de confier un rôle plus important au CNM.

Points sur lesquels les parties ne s'entendent pas

  • La structure des syndicats dans la fonction publique (en particulier l'AFPC) préoccupe uniquement les groupes représentant la direction.
  • Le nombre d'unités de négociation et de classification préoccupe uniquement les groupes représentant la direction.
  • Les agents négociateurs sont d'avis que la portée de la négociation doit être étendue aux questions de dotation, de classification, de caisse de retraite, ainsi qu'à d'autres questions qui en sont actuellement exclues. Les groupes représentant la direction ne partagent pas ce point de vue, en particulier dans le cas de la dotation.
  • Les agents négociateurs se préoccupent du fait que les procédures d'exclusion et de désignation sont excessivement restrictives et écartent un trop grand nombre de personnes des unités de négociation.

5.4 Examen des relations patronales-syndicales au niveau local

Dans le but d'examiner les relations patronales-syndicales dans les lieux de travail, le Comité consultatif a demandé au Centre d'étude et de recherche sur le syndicalisme et le travail (CEREST), de l'Université du Québec à Hull, d'élaborer et d'administrer un questionnaire à des représentants locaux des syndicats et de l'employeur. Le questionnaire visait à recueillir des renseignements sur la nature des rapports existant entre ces parties, la qualité du climat des relations patronales-syndicales dans leur milieu de travail, les mécanismes de consultation employés, le degré de confiance dans leurs rapports réciproques et leur perception des principaux problèmes qui touchent les relations patronales-syndicales au niveau local.

Mille questionnaires ont été distribués entre le 21 février et le 20 mars 2000 à 500 représentants patronaux et 500 représentants syndicaux. Au total, 440 personnes ont répondu au questionnaire, 257 représentant l'employeur et 183 représentant les syndicats. Étant donné que nous continuons de recevoir des questionnaires — même au moment de la rédaction de ce rapport — les résultats présentés ici doivent être considérés comme préliminaires. Les résultats définitifs seront présentés dans le second rapport du Comité consultatif. Toutefois, vu le grand nombre de questionnaires reçus jusqu'à maintenant, il est peu probable que les tendances et les conclusions présentées ci-après changent beaucoup.

Les répondants représentant l'employeur étaient relativement d'accord avec l'énoncé selon lequel le climat des relations de travail est positif au niveau local, les représentants syndicaux adoptant une position neutre sur ce point. Les répondants représentant la direction étaient aussi plus enclins que les répondants syndicaux à décrire les relations patronales-syndicales comme étant positives.

Les répondants des syndicats et de la direction étaient généralement d'accord sur le fait que la consultation patronale-syndicale signifiait tenir compte de l'opinion de l'autre partie avant de prendre une décision. Ils s'entendaient aussi sur le fait que des consultations devraient se dérouler à chaque étape du processus décisionnel, ce qui veut dire dès le début.

S'il semble que les parties aient généralement manifesté une attitude d'ouverture envers la consultation, les réponses données au questionnaire font ressortir une réalité bien différente pour ce qui est de leurs relations réciproques. Les résultats (voir le tableau 5.1) indiquent que les répondants des syndicats et de la direction ont des perceptions passablement différentes du niveau et de la qualité de la consultation qui se déroule en milieu de travail. On peut en conclure que les représentants de la direction jugent qu'ils consultent les syndicats mais accordent peu de considération à leur point de vue. La perception des syndicats semble être que la direction ne les consulte pas, mais se contente de partager de l'information. Quel que soit le point de vue adopté, il ne semble pas y avoir de consultation très significative dans les lieux de travail fédéraux.

Tableau 5.1
Opinions de l'employeur et des syndicats sur l'étendue de la consultation en milieu de travail dans la fonction publique

Sujet de consultation

Employeur1
(score moyen)

Syndicats
(score moyen)

Dotation des postes

2,43

1,96

Répartition des tâches

2,47

1,93

Disposition matérielle et aménagement

3,13

2,38

Application de la convention collective

3,70

2,75

Changements aux programmes et services

3,00

2,11

Formation de la main-d'oeuvre

2,93

2,28

Compressions bugétaires

2,92

1,84

Restructuration du travail

3,25

2,11

Descriptions de tâches

3,22

2,29

Source: Enquête menée par le CEREST de l'Université du Québec à Hull

1. Les répondants devaient choisir entre 5 réponses pour chacun des 9 sujets de consultation : 1 : Aucune interaction patronale-syndicale; 2 : Échange d'information; 3 : Consultation mais peu de considération accordée au point de vue du syndicat au moment de prendre une décision; 4 : Consultation avec une certaine considération accordée au point de vue du syndicat au moment de prendre une décision; 5 : Consultation avec une considération minutieuse accordée au point de vue du syndicat au moment de prendre une décision.

Une autre constatation importante a trait aux griefs. Selon les représentants syndicaux, les employés craignent de subir des représailles s'ils déposent un grief. Les représentants de la direction ne semblent pas partager ce point de vue57. Comme pour les autres questions, les représentants des syndicats et de la direction estiment que le manque de communication, la mauvaise foi dans les négociations au palier national, la Norme générale de classification, le stress provoqué par les changements répétés et l'incompétence perçue des représentants de l'autre partie sont autant de problèmes qui pèsent sur leurs relations en milieu de travail. Le manque de transparence, d'ouverture, de respect ou de considération sont des préoccupations évoquées surtout par des représentants syndicaux58.

De façon générale, ces résultats préliminaires semblent confirmer de nombreuses constatations présentées plus tôt dans ce chapitre. Le Comité consultatif se soucie tout spécialement du manque de consultation apparent mentionné des deux côtés et du manque de respect et de considération déploré par les représentants syndicaux.

5.5 Exercice de remue-méninges

Dans le cadre du travail de collecte de données, un exercice de remue-méninges à l'aide de la technique « Rice Storm » a été organisé lors de la rencontre du Comité national conjoint de transition de carrière, le 18 janvier 2000, à Ottawa. Près de 40 personnes ont participé à l'exercice, animé par Linda Duxbury, professeure à l'École d'administration des affaires de l'Université Carleton et membre du Comité consultatif.

Les participants, tous dirigeants syndicaux ou gestionnaires gouvernementaux activement engagés dans les relations patronales-syndicales au sein de la fonction publique, furent invités à préciser les principales questions pertinentes aux relations patronales-syndicales dans la fonction publique fédérale. Une série de fiches a été remise à chacun des participants, qui devaient ensuite inscrire sur ces fiches : a) un enjeu auquel doit faire face la fonction publique fédérale sur le plan des relations patronales- syndicales, b) une réalité des relations patronales-syndicales et c) un problème patronal-syndical auquel sont exposés les fonctionnaires fédéraux.

L'animatrice a ensuite procédé à la consolidation des thèmes semblables et a présenté les différents enjeux, problèmes et réalités énoncés par les participants.

L'exercice a fait ressortir des constatations assez semblables à celles qui se dégagent des questionnaires et des entrevues. La première observation a trait au manque de confiance qui sévit de part et d'autre. Parmi les principaux problèmes évoqués, il y a la capacité du gouvernement de légiférer pour court-cicuiter le processus de négociation, l'absence d'engagement de la direction à l'égard des mécanismes conjoints, le peu de respect de la direction envers les syndicats, l'insuffisance des ressources qui se traduit par des charges de travail excessives et des budgets de formation inadéquats, le contrôle excessif exercé par le Conseil du Trésor sur les relations de travail et, enfin, la tradition de confrontation dans les relations patronales-syndicales dans la fonction publique.

On a aussi mentionné d'autres problèmes, en rapport avec la dotation, le piètre moral, l'absence d'obligation de rendre compte, la place insuffisante accordée à la négociation et au règlement des différends, de même que l'incapacité perçue des dirigeants syndicaux de donner suite à leurs promesses. Certains participants ont déploré le fait que, trop souvent, les syndicats et la direction avaient tendance à perdre de vue les intérêts qu'ils défendent en laissant leurs objectifs personnels prendre le dessus au détriment des besoins de leurs commettants.

Bien que, dans l'ensemble, il y ait eu beaucoup plus de commentaires négatifs que de commentaires positifs, des participants ont noté que les travailleurs et les gestionnaires de la base s'entendaient souvent sur la façon de résoudre les problèmes, et ce, à l'encontre de la position officielle de l'employeur. D'autres ont cité la longue tradition de collaboration, de rapports de travail fructueux au sein de certains comités et des bonnes relations personnelles qui s'étaient établies entre des représentants syndicaux et patronaux.

5.6 Conclusion

Les constatations qui ressortent de nos diverses sources de données laissent penser qu'au cours des 10 à 15 premières années de négociation collective dans la fonction publique, les participants avaient généralement une attitude positive à l'égard du régime. Mais avec le passage du temps et les interventions unilatérales de plus en plus fréquentes du gouvernement, notamment les gels de salaire et la suspension de la négociation et de l'arbitrage, les parties sont devenues plus pessimistes quant à la capacité du régime de négociation de résoudre les problèmes. Le manque de confiance et les longs épisodes d'initiative unilatérale du gouvernement constituent probablement la préoccupation la plus sérieuse des représentants syndicaux et patronaux.

La complexité du régime de négociation collective inquiète tout spécialement les représentants de la direction, alors que les représentants syndicaux sont troublés par ce qu'ils perçoivent comme un manque de respect de l'employeur à leur égard.

Pour les syndicats, des questions telles que le champ restreint de la négociation, le nombre toujours aussi élevé de désignations, le recours à des lois de retour au travail et l'exclusion syndicale de nombreux employés demeurent des sujets de préoccupation majeure. Les représentants de la direction restent préoccupés par la durée et la complexité du processus de négociation et la structure de l'AFPC. Les deux côtés déplorent l'absence d'un organisme indépendant de recherche sur les traitements et l'incapacité du Conseil du Trésor de répondre aux besoins des divers ministères et groupes professionnels en raison de l'approche « uniforme » qu'il a adopté en matière de négociation collective.

Tous ces facteurs ont contribué à aggraver les tensions entre les syndicats et la direction depuis quelques années. La situation a aussi été assombrie par la longue lutte dans le dossier de l'équité salariale, les différends sur la répartition des surplus des caisses de retraite des fonctionnaires et la mise en place imminente de la Norme générale de classification.

Le chapitre VI traite plus en détail d'un certain nombre de problèmes qui sont apparus au fil de ces événements.